De l'Iran à Dubaï, Ben Zygler aurait participé à toutes les opérations d'envergure du Mossad.

On en sait maintenant un peu plus sur l'incroyable et tragique histoire du prisonnier X, l'Australien Ben Zygler, qui fait les manchettes depuis plusieurs jours en Israël. Emprisonné dans le plus grand secret, sous un faux nom, «l'homme au masque de fer» a été retrouvé pendu, le 15 décembre 2010, dans sa cellule de la prison de haute sécurité de Ramleh, près de Tel-Aviv.

Dans ce dossier frappé de la censure militaire, c'est un reportage de la chaîne australienne ABC, diffusé mardi dernier, qui a permis au prisonnier anonyme de retrouver son identité. Ou plutôt plusieurs. Muni de quatre passeports australiens, Ben Zygler s'appelait également Ben Allen, Ben Alon ou encore Benjamin Burrows. Après avoir levé la censure médiatique mercredi, l'État israélien se lance maintenant dans un travail d'introspection. Le ministère de la Justice a averti, hier, que des inculpations pour négligence pourraient être prononcées au sein des services pénitenciers qui n'ont pu empêcher le suicide de l'Australien.

VRP, opération à Dubaï...

Selon le quotidien israélien Haaretz, ce diplômé en droit, «monté» en Israël en 1994, aurait bien confirmé à deux de ses amis avoir été recruté pour le Mossad. Mais pour quelles missions? Selon le journaliste australien Jason Koutsoukis, premier à avoir enquêté sur les activités de Ben Zygler en 2009, un an avant sa mort, l'Australien aurait été l'un des maillons d'une société-écran, établie en Europe, chargée de vendre du matériel électronique à l'Iran.

Le spécialiste du renseignement Yvonnick Denoël explique ce scénario d'espionnage dans son ouvrage Les guerres secrètes du Mossad. L'objectif de ces sociétés-écrans est double: parvenir à glisser, après plusieurs commandes de matériel parfaitement conformes, des composants avec des vices cachés, et ainsi saper le programme nucléaire iranien. Seconde mission: parvenir à envoyer, sous un prétexte quelconque, l'un de ses représentants sur place afin de prendre des photos et de recueillir des informations sensibles. Ben Zygler était-il l'un d'entre eux? Il s'est bien rendu en Iran, mais aussi en Syrie et au Liban. Mais le prisonnier X serait aussi mêlé au «Dubaïgate», du nom de cette opération présumée du Mossad qui a éliminé en janvier 2010 Mahmoud al-Mabhouh.

C'est en tout cas en février 2010, au retour de ce semi-fiasco pour le Mossad, que Ben Zygler a été incarcéré en Israël. Qu'était-il sur le point de révéler? Hier, un ancien agent des services secrets australiens, Warren Reed, a dissipé quelque peu le mystère sur le plateau de la chaîne australienne ABC: «Il se peut que Zygler s'apprêtait à dévoiler le pot aux roses.» En clair, révéler l'étendue du trafic de passeports, en particulier australiens, par le Mossad. «Il aurait pu porter atteinte à la sécurité nationale d'Israël, non pas de manière immédiate, mais dans 5, 10 ou 15 ans.»

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Le spectre des passeports frauduleux ressurgit

Passeports australiens, canadiens, néo-zélandais, les services secrets israéliens sont à la recherche de passeports légitimes.

L'affaire du prisonnier X met de nouveau sur le gril les services secrets israéliens au sujet du détournement de passeports étrangers dans le cadre d'opérations secrètes. Ce dossier n'est, en réalité, que le prolongement du scandale du «Dubaïgate», dans lequel une dizaine de passeports britanniques, français, allemands ou australiens ont été employés lors de l'expédition des agents du Mossad à Dubaï. Mais, en réalité, l'utilisation frauduleuse de papiers d'identité étrangers est au coeur des opérations du Mossad depuis ses débuts.

Des passeports canadiens pour venger les otages de Munich

Dans ce dispositif, le passeport canadien a toujours été convoité. C'est en effet munis de passeports canadiens que des agents israéliens de l'unité Kidon ont traqué en Europe les membres de Septembre noir, du nom de ce commando palestinien auteur de la prise d'otages puis du massacre de 11 athlètes israéliens, lors des Jeux olympiques de Munich en 1972.

Plus récemment, les espions israéliens ont encore opté pour des passeports canadiens, en 1997, lors de la tentative d'assassinat avortée, en Jordanie, du leader politique en exil du Hamas, Khaled Meshaal. Pourquoi avoir choisi des passeports canadiens? Sans doute parce le pays affiche, à la fois, un visage multiculturel - qui permet aux détenteurs de passeport de se fondre plus aisément dans le décor - et une bonne réputation auprès des services de sécurité partout dans le monde.

Il en va de même pour l'Australie dans l'affaire Ben Zygler. «L'Australie est un pays clean, qui bénéficie d'une bonne image, comme la Nouvelle-Zélande. Il n'y a pas beaucoup de pays comme ça, et notre nationalité peut donc être très utile dans le domaine des services secrets», a expliqué l'ancien agent secret australien Warren Reed sur le plateau de la chaîne ABC. Il a par ailleurs assuré que, si Israël n'était pas le seul pays du monde à utiliser ce procédé, le pays dépendait «sans doute de ce genre de chose plus que les autres».

Envie d'aider le Mossad

Par quel moyen les services israéliens se procurent-ils ces passeports étrangers? Outre la confection de faux documents, le Mossad bénéficie d'une autre manne: les nouveaux arrivants juifs, qui possèdent par essence plusieurs passeports. En Israël, le Mossad est, sans doute, l'une des institutions les plus respectées du pays et l'attachement est encore plus prononcé parmi les immigrants qui s'installent en Israël par idéal sioniste, à l'image de Ben Zygler.

Une infime minorité des immigrants est ainsi recrutée par les services secrets. Il reste une participation «indirecte» sans doute plus large: le prêt d'un second passeport (canadien, français, anglais...) aux services secrets. «Si le Mossad m'approchait, je leur donnerais mon passeport français sans hésiter», explique Amandine, jeune Parisienne installée à Jérusalem. Il reste que le nombre de binationaux qui fournissent effectivement leur passeport étranger pour les opérations du Mossad est impossible à quantifier.