Depuis 2003, les proches de la photojournaliste montréalaise Zahra Kazemi demandent l'arrestation de l'ancien procureur général de Téhéran, Saïd Mortazavi. C'est chose faite. Lundi, celui que plusieurs surnomment le «boucher de Téhéran» a été mis en détention dans la prison d'Evin. Il a été libéré quelques heures plus tard.

En 2003, Saïd Mortazavi était à la tête de cette même prison quand il a ordonné l'arrestation de Zahra Kazemi, qui prenait des photos à proximité. Selon deux rapports rédigés en Iran, il a participé aux violents interrogatoires qui ont causé la mort, le 10 juillet 2003, de la Montréalaise d'origine iranienne.

Photo: PC

Zahra Kazemi.

À la suite du drame, qui a plongé le Canada et l'Iran dans une grave crise diplomatique, le gouvernement canadien avait aussi demandé que M. Mortazavi soit traduit en justice.

Hier, cependant, l'annonce de l'arrestation de M. Mortazavi n'a pas réjoui outre mesure les proches de Mme Kazemi, qui se battent toujours pour obtenir justice. «Mortazavi a été arrêté dans le cadre d'une bataille de pouvoir en Iran et non pas pour les multiples violations des droits humains dont lui et le régime islamique sont responsables», a dit hier Shahrzad Arshadi, de la fondation Ziba Kazemi.

Bras de fer politique

En Iran, l'agence de presse FARS a annoncé que M. Mortazavi a été arrêté pour une histoire de détournement de fonds alors qu'il dirigeait l'organisation du Bien-être social. Il avait été nommé par le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad.

Sa présence à ce poste irritait cependant le président du Parlement iranien, Ali Larijani, ainsi que son frère, Sadeq Larijani, à la tête de l'aile judiciaire. Ces derniers ont récemment tenté de le démettre de ses fonctions.

À couteaux tirés avec les Larijani à l'approche des élections présidentielles qui doivent avoir lieu le 14 juin, le président Ahmadinejad a à son tour attaqué les puissants frères devant le Parlement, dimanche. Utilisant un enregistrement, il a laissé entendre que les frères Larijani ont tenté de corrompre M. Mortazavi.

L'arrestation de M. Mortazavi a eu lieu dans les heures qui ont suivi ce coup de théâtre. Le président iranien, en visite en Égypte, a dénoncé hier l'arrestation «très laide» de son proche collaborateur.

Pas trop tard pour la justice

Selon Human Rights Watch, qui s'intéresse au cas de M. Mortazavi depuis plus de 15 ans, même si les accusations qui pèsent contre l'ex-procureur sont politiques, il n'est pas trop tard pour que l'homme de 45 ans soit jugé pour «sa violation en série des droits humains», a dit hier à La Presse Faraz Sanei, joint à New York. En plus d'être accusé du meurtre de Mme Kazemi, M. Mortazavi est l'un des principaux suspects dans le meurtre de trois jeunes Iraniens torturés et battus à mort dans la prison de Kahrikaz en 2009.

Par ailleurs, le gouvernement canadien a accueilli avec retenue la nouvelle de l'arrestation. «[M. Mortazavi] doit toujours être tenu responsable de la mort de Zahra Kazemi», a dit à La Presse Rick Roth, porte-parole du ministre des Affaires étrangères du Canada.

- Avec la collaboration de Hugo de Grandpré