Ils devaient être temporaires. Une soixantaine d'années plus tard, les camps de réfugiés palestiniens font toujours partie du paysage. Leurs habitants n'ont pourtant pas perdu espoir de retrouver leurs villages. Ils commémorent aujourd'hui ce qu'ils appellent la «catastrophe» - la création d'Israël. La Presse s'est rendue dans l'un des plus vieux camps de réfugiés du monde.

Chafik Yaghi déploie une grande carte. Le Palestinien de 68 ans montre un carré mauve de ses doigts tremblotants. Le lot de sa famille, explique-t-il, dans le village d'Al-Mismiyya, près de Tel-Aviv. L'endroit où il est né.

«J'étais petit, mais je n'oublierai jamais, dit l'homme à la moustache blanche. Je me souviens de la maison, du village. Il y avait une seule école. Mais après 1948, nous ne sommes jamais retournés.»

Il dit se souvenir de soldats israéliens dans son village après la déclaration d'indépendance d'Israël, le 14 mai 1948. Ils auraient offert aux villageois de rester, sans combat. «Mais ils ont eu peur d'un massacre et les hommes plus âgés ont dit: nous voulons partir, raconte-t-il. Alors nous sommes tous partis.»

Il vit maintenant à une centaine de kilomètres de son village natal, dans le camp de réfugiés d'Aqbat Jaber, un des plus vieux du monde. Situé à 3 km de Jéricho, le camp est l'un des deux premiers camps ouverts en 1948 en Cisjordanie pour accueillir les familles palestiniennes ayant fui leurs villages. L'autre, Ein el-Sultan, se trouve tout près.

Symboles

La maison de Chafik Yaghi est située près d'une intersection de rues poussiéreuses, en partie asphaltées. Non loin de là, une mosquée est en construction. Elle portera le nom d'un village d'où proviennent d'autres familles du camp, Abassiyeh.

Impossible pour les réfugiés d'oublier cette partie de leur histoire. Les symboles, les souvenirs restent omniprésents. «C'est arrivé en 1948 et je suis né en 1988, donc c'est loin de moi, illustre Soubhi Yaghi, lointain parent de Chafik Yaghi. Mais mon père et mon grand-père en parlaient beaucoup. C'est impossible d'oublier.» Son père a gardé les certificats d'enregistrement des propriétés de son grand-père dans des plastiques. Les feuilles, jaunies, indiquent 1928.

Chaque année, les Pales-tiniens commémorent ce qu'ils appellent la nakba, la «catastrophe» en arabe - les conséquences pour eux de la création d'Israël. L'an dernier, des manifestations ont mal tourné et 15 personnes ont été tuées aux frontières libanaise et syrienne.

Aujourd'hui, les gens d'Aqbat Jaber vont marcher à Jéricho, un drapeau palestinien ou tout noir à la main. Dans les villes palestiniennes, des pancartes ont été accrochées un peu partout. Elles invitent à de grands rassemblements. Il y est aussi question du «droit au retour» des Palestiniens et de leurs descendants.

Le sort des réfugiés demeure une question primordiale dans toute négociation de paix. Les responsables palestiniens favorisent la création d'un État aux côtés d'Israël, une solution que Chafik Yaghi rejette, puisqu'elle placerait son village du côté israélien. Il garde espoir d'y retourner. «Nous voulons rester avec les Israéliens comme voisins, souligne-t-il, mais dans un seul pays pour tous. Un pays où tout le monde peut vivre sans problème: juifs, musulmans, chrétiens, comme un seul peuple. Avoir deux pays côte à côte n'est pas mon premier choix.»

5 MILLIONS

C'est le nombre de réfugiés palestiniens, répartis en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, mais aussi au Liban, en Syrie et en Jordanie. Ils vivent souvent dans une situation encore plus précaire que les autres Palestiniens - qui, eux, sont issus de familles qui vivaient déjà dans ce que sont aujourd'hui les Territoires palestiniens. Ils reçoivent une aide de l'UNRWA, l'agence de l'ONU responsable de l'assistance aux réfugiés palestiniens, pour l'alimentation et l'éducation. Mais leurs conditions restent difficiles.