Qui a tué le réalisateur israélo-palestinien Juliano Mer-Khamis? Un an après l'assassinat, en Cisjordanie, la question reste sans réponse. Polémiste, artiste engagé: il dérangeait. Aujourd'hui, les artisans du Théâtre de la Liberté, qu'il a cofondé, tentent de reprendre son flambeau.

Des filles et des garçons ensemble sur une scène. Des politiciens palestiniens dépeints comme des porcs corrompus. Des séances de thérapie collective. L'adaptation d'une pièce controversée pour son contenu à caractère sexuel.

Dans une société conservatrice comme celle du camp palestinien de Jénine, les choix du Théâtre de la Liberté en ont choqué plus d'un.

Le directeur et cofondateur du centre culturel, Juliano Mer-Khamis, a voulu briser des tabous. Le réalisateur né d'une mère juive israélienne et d'un père chrétien palestinien avait reçu des menaces. Le théâtre - tout comme un conservatoire de musique de Jénine - a déjà été attaqué par le feu en 2009. Le militantisme affiché de ses membres contre l'occupation israélienne et la présence d'un ex-terroriste parmi ses fondateurs a aussi dérangé du côté israélien.

La mort de Juliano Mer-Khamis, le 4 avril 2011, non loin du Théâtre de la Liberté, a bouleversé ses collaborateurs. Malgré les enquêtes menées des côtés israélien et palestinien, le tireur court toujours.

«L'incertitude est psychologiquement très difficile à vivre, dit Jonatan Stanczak, directeur et l'un des trois cofondateurs. Ça rend la réalité difficile à comprendre.»

Année difficile

Au cours de la dernière année, plusieurs employés du Théâtre ont été arrêtés, puis relâchés sans accusation. Des élèves du centre culturel, où sont donnés des ateliers de théâtre, de thérapie par le jeu, de multimédia et de photographie, ont abandonné leurs activités.

Malgré tout, les artisans du Théâtre de la Liberté ont décidé de poursuivre le travail. Ils continuent notamment à défier le conservatisme de la communauté dans cette partie du nord de la Cisjordanie. La présence de jeunes femmes aux côtés de jeunes hommes fait partie de leurs défis.

«Quand je me suis jointe au Théâtre en 2008, les gens me demandaient pourquoi j'y allais et m'ont dit que c'était contre notre culture, explique Rawand Arqawi, coordinatrice de l'école de jeu, un hidjab gris sur la tête. J'ai entendu beaucoup de mauvais mots! Mais à la fin, nous nous en moquions, parce que nous croyons en l'importance du Théâtre.»

Elle espère maintenant attirer de plus en plus de jeunes femmes musulmanes pratiquantes, comme elle.

«Au début, nous n'avions qu'une fille dans l'école de jeu, souligne-t-elle. Maintenant, non seulement nous arrivons à amener plus de filles, mais aussi des filles religieuses. C'est un beau succès.»

Fuir les violences

Le Théâtre de la Liberté a été créé en 2006. Ses fondateurs ont voulu reprendre un projet lancé par la mère de Juliano Mer-Khamis à la fin des années 80. Le jeu avait alors permis aux enfants du camp de réfugiés de Jénine de fuir par l'art la difficile réalité de la première intifada.

Devenus grands, plusieurs enfants ont rejoint les groupes armés de la deuxième intifada, au début des années 2000. Les affrontements ont été particulièrement violents dans la région et ont laissé le camp en partie détruit.

Les jeunes adultes d'aujourd'hui ont grandi avec ces images. Le Théâtre de la Liberté leur offre une plateforme pour s'exprimer. «Nous ne guérissons pas, explique M. Stanczak, un Suédo-Israélien. Mais nous canalisons cette énergie, ce besoin de résister, dans quelque chose de constructif.»