Le président afghan Hamid Karzaï a accusé mercredi des extrémistes pakistanais d'avoir commandité l'attentat contre les chiites de la veille à Kaboul, la première attaque interconfessionnelle de cette ampleur en Afghanistan depuis plus de dix ans, et réclamé justice à Islamabad.

Cette attaque commise au cours d'une procession dans la capitale afghane à l'occasion de l'Achoura, l'une des fêtes les plus sacrées de l'islam chiite, a tué mardi 55 personnes, dont un ressortissant américain.

Quasi simultanément, à Mazar-i-Sharif (nord), un vélo piégé a explosé au passage d'un groupe de chiites se rendant vers un sanctuaire, faisant quatre morts parmi eux.

Ces attentats ont été d'une ampleur inédite contre les chiites depuis plus de dix ans.

Mercredi, ce sont 19 civils, dont sept femmes et cinq enfants, qui ont péri dans l'explosion d'une bombe artisanale, activée par le passage de leur minibus, dans le sud du pays, bastion des talibans.

Le président Karzaï est rentré mercredi matin en Afghanistan, après avoir écourté un déplacement en Europe.

En visite dans un hôpital de Kaboul où sont soignés de nombreux blessés, il a accusé le groupe extrémiste pakistanais Lashkar-e-Jhangvi (LeJ), responsable de nombreuses attaques contre les chiites au Pakistan, d'avoir commandité l'attentat de Kaboul.

Il a affirmé qu'il allait demander à Islamabad de «prendre des mesures (...) pour que justice soit rendue».

«Le LeJ est une organisation interdite (au Pakistan). Nous invitons Kaboul à nous montrer par voie officielle les preuves (de ces accusations), si elles existent», a répondu à Islamabad un porte-parole du ministère pakistanais des Affaires étrangères, Abdul Basit, dans un texto envoyé à l'AFP.

Un classique dans les relations orageuses entre Kaboul et Islamabad: les Afghans accusent régulièrement des groupes rebelles du Pakistan, voire les services secrets de l'État, de commettre des attentats ou de soutenir les talibans en Afghanistan, ce que les Pakistanais démentent en leur demandant des preuves.

Dans la capitale afghane, les funérailles des personnes tuées qui avaient commencé dès mardi se sont poursuivies mercredi.

Les principaux responsables de la minorité chiite, qui représente environ 20% de la population afghane et qui est en grande partie issue de l'ethnie hazara, ont appelé au calme.

Tandis que l'enquête commence, services de sécurité et observateurs voient comme M. Karzaï dans ces attentats l'oeuvre de groupes extrémistes pakistanais proches d'Al-Qaïda, le LeJ étant le suspect numéro un, et écartent une participation autre que limitée des talibans afghans.

Certains médias ont fait état d'une revendication de la part de membres du LeJ, mais elle n'a pu être confirmée.

Auteurs de nombreux attentats-suicide meurtriers, les talibans afghans ont d'ailleurs très rapidement «fermement condamné» les attaques de mardi, les qualifiant de «contraires à l'islam».

Un responsable d'un service afghan de sécurité ayant requis l'anonymat a affirmé à l'AFP que le kamikaze de Kaboul était un Pakistanais, originaire du district tribal de Kurram, situé dans les zones tribales pakistanaises, frontalières de l'Afghanistan, bastion des talibans pakistanais, sanctuaire d'Al-Qaïda et base arrière des talibans afghans.

«Il est lié au Sipah-e-Sahaba (SSP)», dont le LeJ est le bras armé, a-t-il ajouté, accusant les services secrets pakistanais (ISI) de collaborer avec le SSP pour «déclencher des violences communautaires en Afghanistan». LeJ et SSP sont tous deux interdits au Pakistan.

«Si implication des talibans (afghans) il y a, elle est minime», a ajouté le responsable, précisant que plusieurs suspects avaient déjà été arrêtés.

La source sécuritaire occidentale penche plutôt pour des commanditaires pakistanais, refusant de se prononcer dans l'immédiat sur une implication des services secrets du Pakistan ou de l'armée de ce pays.

«On regarde surtout en direction du TTP (le principal mouvement de talibans pakistanais, qui a des liens avec le LeJ), même si pour l'instant on n'a pas de preuves», a expliqué cette source à l'AFP. «Le but de ces attaques, c'est l'instrumentalisation des divisions confessionnelles, avec pour objectif l'affaiblissement de la société afghane», a-t-elle ajouté.

Pour Mariam Abou Zahab, chercheuse et spécialiste française des mouvements islamistes radicaux des deux côtés de la frontière, ces attaques sont plus dans l'intérêt d'«Al-Qaïda, qui instrumentalise des groupes tels que le LeJ pour déstabiliser un peu plus l'Afghanistan, ses dirigeants et leurs alliés».

Ces attentats interviennent trois mois après l'assassinat par un prétendu émissaire taliban de l'ex-président Burhanuddin Rabbani, négociateur en chef du gouvernement et figure illustre de l'importante communauté tadjike.

«Après avoir attaqué les lignes de fractures ethniques, on s'attaque aux divisions confessionnelles», note la source de sécurité occidentale.