Seul le cliquetis occasionnel des chaînes à ses pieds trahit la présence de l'accusé. Bassem Tamimi, âme de la mobilisation d'un village palestinien, écoute en silence les dépositions des témoins devant la justice militaire israélienne.

L'homme au visage émacié barré d'une moustache profite des fréquentes interruptions pour échanger quelques mots avec son épouse, entourée dans l'assistance par de nombreux diplomates européens et des militants israéliens des droits de l'homme, à l'intérieur du tribunal sis dans la prison militaire d'Ofer, près de Ramallah, en Cisjordanie.

Animateur revendiqué des «manifestations pacifiques» depuis deux ans des villageois de Nabi Saleh contre l'extension d'une colonie voisine, Tamimi plaide depuis l'ouverture de son procès en juin non coupable de toutes les charges, notamment d'incitation à des jets de pierre contre les soldats israéliens.

-«Vous avez dit pendant votre interrogatoire que Bassem Tamimi, surnommé Abou Waëd, était l'organisateur des manifestations illégales et violentes tous les vendredis», lance le procureur militaire au principal témoin à charge, Islam Dar Ayyoub, 14 ans, qui s'est rétracté.

-«J'étais fatigué et j'avais peur», répond l'adolescent, avachi sur un pupitre, la jambe agitée d'un tremblement nerveux.

Les débats se déroulent en hébreu, un militaire israélien assurant la traduction en arabe.

-«Vous avez bien dit que c'était Bassem et Naji qui donnaient tous les ordres et avaient appelé les gens à s'organiser en escouades?», poursuit le procureur, en référence à un autre militant, jugé dans un procès distinct.

-«Oui», reconnaît le jeune témoin.

-«Cela s'est-il passé ainsi dans la réalité?».

-«Non», dit Islam Dar al-Ayyoub, qui répond invariablement de la sorte.

-«Vous avez prononcé le nom de Bassem plus de 30 fois, de votre plein gré. Pourquoi ne pas avoir dit la vérité?», insiste le procureur.

-«Ils m'ont promis que si je disais ce qu'ils voulaient, je pourrais rentrer chez moi», explique l'adolescent, arrêté en pleine nuit et interrogé sans son avocat ni ses parents.

-«Ils m'ont forcé à dire que c'était Bassem», assure le lendemain à la cour Moetassem Tamimi, 15 ans, arrêté quelques jours auparavant, qui dépose en uniforme de détenu.

Israël se voit reprocher de traiter avec la même sévérité militants pacifiques, comme Bassem Tamimi ou Abdallah Abou Rahma, porte-drapeau de la lutte contre la barrière israélienne en Cisjordanie, et auteurs d'actions violentes.

«M. Tamimi fait l'objet de cinq chefs d'accusation, dont trois se fondent sur une ordonnance militaire qui revient à nier le droit de manifester pour l'ensemble des Palestiniens soumis à l'occupation militaire», déplore le ministre français des Affaires étrangères Alain Juppé dans une lettre adressée à une association pro-palestinienne publiée le 30 novembre.

«On croit savoir à presque 100% qu'il n'a jamais pratiqué la violence, même lancer des pierres. C'est une des conditions pour que l'on puisse le déclarer défenseur des droits de l'homme», a expliqué à l'AFP Joris Van Vinckel, officier aux affaires politiques de l'Union européenne (UE) à Jérusalem, qui suit le procès.

«Les droits des défenseurs des droits de l'homme israéliens et palestiniens protestant pacifiquement contre les colonies et la barrière de séparation sont strictement limités», regrettait l'UE en juin au Conseil des droits de l'homme de l'ONU.

Or, les tribunaux militaires israéliens condamnent 99,76% des accusés palestiniens, selon un rapport annuel militaire cité par le quotidien Haaretz.

En privé, les dirigeants israéliens reconnaissent leur difficulté à maîtriser une mobilisation non violente. Un haut responsable du ministère de la Défense, Amos Gilad, cité dans un télégramme diplomatique américain diffusé par Wikileaks, avouait ainsi en 2010: «Nous ne savons pas très bien nous y prendre avec un «Gandhi»».