Alors que le gouvernement canadien continue à nier que les prisonniers transférés aux forces afghanes étaient maltraités, une vaste enquête des Nations unies conclut que les présumés insurgés incarcérés à Kandahar sont «systématiquement torturés». Un responsable afghan a d'ailleurs reconnu «punir» ces détenus.

Pour la première fois depuis le renversement du régime taliban en 2001, la Mission d'assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA) a enquêté sur les conditions de détention des présumés insurgés. Après avoir interrogé

379 détenus et vérifié leurs allégations, les enquêteurs concluent que 46% d'entre eux ont été torturés afin d'obtenir une confession.

Preuves convaincantes

Le rapport diffusé hier est particulièrement cinglant envers le travail fait dans la province de Kandahar, où «la MANUA a trouvé des preuves convaincantes que la torture est systématique». Les enquêteurs ont de plus établi que la torture a causé la mort d'au moins un prisonnier à Kandahar, en avril 2011.

Les cas de torture dans la province du sud de l'Afghanistan ont été jugés suffisamment sérieux pour que les forces américaines y suspendent tout transfert de prisonniers à partir de juillet 2011, lorsque les États-Unis ont pris la relève du Canada.

Des 35 présumés insurgés interrogés dans le cadre de cette enquête à Kandahar, 25 ont été torturés. Ceux-ci ont notamment été suspendus par les poignets pour ensuite être battus au moyen de câbles électriques ou de bâtons. D'autres ont reçu des décharges électriques aux organes génitaux. Un prisonnier a été menotté pendant quatre jours dans «une position extrêmement douloureuse», un bras tordu dans le dos attaché à son autre bras passant par-dessus son épaule. Un autre détenu a quant à lui eu les ongles d'orteil arrachés par un couteau.

Le rapport ne précise pas depuis quand la torture est utilisée à Kandahar. Toutefois, lorsque placé devant les résultats de l'enquête, l'un des responsables afghans des interrogatoires a reconnu que «ses agents punissent les insurgés parce que les méthodes normales pour obtenir de l'information ne fonctionnent pas à Kandahar». «Si nous savons que le détenu est un insurgé, nous le punissons», a déclaré le colonel Abdul Wahad, lors d'un entretien avec la MANUA, le 16 août.

Déni canadien

Jusqu'au retrait des troupes canadiennes de Kandahar l'été dernier, le gouvernement de Stephen Harper a toujours nié que les prisonniers transférés par ses soldats ont pu être torturés. «Il est clair que les allégations de mauvaise conduite ne sont pas fondées et que les accusations de critiques quant à la complicité du Canada avec de la torture ou même des crimes de guerre ne sont tout simplement pas vraies», avait lancé en juin dernier le ministre des Affaires étrangères, John Baird. Celui-ci avait assuré que les responsables canadiens en Afghanistan s'étaient assurés de pouvoir suivre à la trace des détenus transférés et de garantir qu'ils étaient bien traités.

Or, si plusieurs pays disent avoir adopté de telles mesures pour encadrer le transfert de prisonniers, la MANUA affirme avoir des «preuves convaincantes» que 19 des 89 présumés insurgés ainsi transférés l'an dernier par les forces internationales ont été torturés. Il reste qu'un détenu interrogé à Kandahar, en mars 2011, a indiqué qu'aucun de ses codétenus arrêtés par les soldats canadiens s'était plaint de mauvais traitement.

La controverse au Canada sur le transfert des prisonniers a débuté en avril, après la publication d'une enquête du Globe and Mail sur les sévices dont plusieurs prisonniers de Kandahar disaient avoir été victimes. En novembre 2007, le Canada avait suspendu pour quatre mois le transfert après qu'un diplomate eut constaté la présence de marques sur un détenu et de câbles pour le fouetter. Les Forces canadiennes affirment avoir transféré 283 détenus aux autorités afghanes entre 2001 et 2009.