La première fois que Mina a vu la photo de son futur mari, elle l'a trouvé beau. Elle avait 17 ans et des rêves plein la tête. Elle caressait souvent la photo du bout des doigts.

Ce sont ses parents qui ont choisi son mari, comme l'exige la tradition afghane. Les familles des futurs époux se sont rencontrées, elles ont discuté, marchandé. La famille du jeune homme a finalement accepté de payer 100 000 afghanis (2300$) pour obtenir la main de Mina.

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Lorsque Mina a vu son futur mari pour la première fois, son coeur s'est emballé. Il avait 20 ans. C'était pendant les fiançailles. «J'ai failli m'évanouir. Il était tellement beau, et il semblait gentil. Je me suis dit que ça me ferait un bon compagnon.»

Ils se sont mariés quatre mois plus tard. Un mariage modeste célébré dans une maison privée. C'est la famille du garçon qui a payé.

Pendant les deux premiers mois, Mina a été heureuse. Tous les matins, son mari partait avec son camion rempli de pierres qu'il transportait d'un bout à l'autre de Kaboul. Mina, elle, passait la journée avec sa belle-mère. Les deux femmes s'entendaient bien.

La première fois que son mari l'a battue, ils revenaient d'une fête de famille. Mina lui avait demandé la permission de danser. Il avait accepté, mais à la condition qu'elle ne soit pas prise en photo. Mina s'est bien amusée. Le soir, dans leur chambre, son mari l'a accusée d'avoir enlevé son voile et flirté avec un homme. Il a pris un câble et il l'a battue. Plus elle criait, plus il frappait. Encore et encore.

»Je me suis évanouie, ma bouche saignait.»

Mina ouvre de grands yeux, elle revoit les coups qui s'abattaient sur sa tête, son visage, son corps. Elle est petite, fragile, avec un doux visage d'adolescente: lèvres pleines, teint pâle, yeux bruns expressifs. Elle est tadjike. Son mari aussi. Sa burqa est relevée sur son front et laisse son visage à découvert. Elle vit dans un refuge depuis deux semaines.

Elle décrit avec 1000 détails les humiliations qu'elle a subies, la peur qui la tenaillait quand les coups pleuvaient, la jalousie et les mensonges de sa belle-soeur, qui lui empoisonnait la vie et montait son mari contre elle. Mina parle sans arrêt, comme si elle vomissait les 12 derniers mois.

Quatre mois après son mariage, sa belle-mère est morte. Elle la protégeait du mieux qu'elle le pouvait contre les accès de rage de son fils. Avec sa mort, Mina perdait toute protection.

Le mari de Mina a voulu prendre une seconde épouse, une cousine qu'il aimait. Mais le père de la cousine a refusé parce qu'il était déjà marié. Frustré, il s'est vengé sur Mina en la rouant de coups. «Il me frappait avec tout ce qui lui tombait sous la main: une tige de fer, des outils, un morceau de bois.»

Mina ne touche pas à son thé. Quand elle parle des sévices qu'elle a subis, elle tord ses mains ou triture les pans de sa burqa.

Les choses se sont envenimées. Il la battait chaque jour. Il voulait qu'elle dise à son oncle qu'elle n'était pas vierge le jour de son mariage. Il voulait de l'argent parce que sa femme était impure.

«Quand mon oncle est venu chez moi, mon mari cachait un couteau sous son chandail, raconte Mina. Il voulait le tuer.»

L'oncle a payé, même si Mina avait précieusement gardé son hymen pour prouver sa virginité.

Son mari a menacé de la tuer. Elle s'est réfugiée chez son père, qui l'a amenée à la Commission afghane des droits de la personne. C'est ainsi qu'elle s'est retrouvée dans un refuge. Son mariage a duré 1 an: 2 mois de bonheur, 10 mois d'enfer.

Elle ne sait ni lire ni écrire. Elle veut divorcer, mais son mari refuse. Le processus risque d'être long. En attendant, elle peut rester au refuge, à l'abri de son mari, qui la cherche dans Kaboul.

Après le divorce, elle ira vivre chez son père. Il a accepté de la reprendre. Une chose est certaine, elle ne se remariera pas. «Jamais, jure-t-elle, j'ai trop peur des hommes.»

Soraya avait 9 ans lorsque sa mère lui a choisi un mari. Il avait 31 ans, il était taliban. Deux mois avant les fiançailles, il a été arrêté et emprisonné à Guantánamo.

Même s'il était en prison, même s'il n'y avait eu ni fiançailles ni mariage, la famille talibane voulait Soraya. Elle avait été promise, l'entente avait été conclue, elle leur appartenait.

Sa mère, veuve, avait peur de la famille talibane. Elle était prête à laisser partir sa fille, mais Soraya refusait. Les mois et les années passaient, mais la pression restait forte. Sa mère la poussait pour qu'elle parte vivre avec la famille de son futur époux. Soraya résistait. Elle avait peur. Peur de sa mère prête à l'abandonner, peur de sa belle-famille rigide, peur de son futur mari qui, un jour, sortirait de prison, et peur d'être tuée si elle continuait à tenir tête et à bafouer l'honneur pachtoune.

Elle s'est enfuie. Elle a quitté la maison un peu avant midi, profitant de l'absence de sa mère. Elle s'est voilée de la tête aux pieds, couvrant même ses yeux, et elle a couru jusqu'à la gare d'où partent les voitures pour Kaboul. Elle a fait le long trajet Jalalabad-Kaboul en tremblant.

Elle est arrivée à Kaboul au milieu de l'après-midi, complètement perdue. Elle n'était jamais sortie de son village. Elle avait à peine 15 ans.

Une femme l'a aperçue, en pleurs au milieu du trottoir. Elle l'a emmenée chez elle, puis au ministère de la Condition féminine. Le lendemain, elle s'est retrouvée dans le même refuge que Mina. Elle y vit depuis trois ans et demi. La famille talibane n'a toujours pas renoncé et la cherche partout.

Pour venger son honneur, la famille talibane a exigé que la mère de Soraya lui donne une de ses filles en échange. Soraya ne sait pas ce qui est arrivé à sa petite soeur, qui n'avait que 10 ans au moment de l'échange. Elle ignore si elle est mariée, heureuse ou malheureuse. Elle ne sait pas non plus si son futur mari est sorti de prison. Une chose est certaine: elle se sent coupable.

Lorsque Soraya est arrivée au refuge, elle ne savait ni lire ni écrire. Aujourd'hui, elle va à l'école et apprend l'anglais. Elle n'est plus la petite fille terrorisée qui a fui Jalalabad en pleurs. Son regard est droit, lucide. Elle porte un voile noir qui couvre son front et une longue robe noire qui balaie le sol.

Elle ne peut pas retourner chez sa mère ni vivre seule à Kaboul. Aucune femme ne vit seule en Afghanistan. Et elle ne peut pas passer toute sa vie dans le refuge. Que va-t-elle faire?

Soraya sourit doucement, la tête penchée, la main posée sur sa joue. «Je veux partir, quitter l'Afghanistan. Pour toujours.

- Dans quel pays voulez-vous vivre?

- N'importe lequel, mais pas un pays musulman.»

michele.ouimet@lapresse.ca