Les vieilles photos aux murs de la cahute qui lui sert de bureau en témoignent: Sabah Alazawi a toujours eu un faible pour les bêtes sauvages. Aujourd'hui, cet ancien soldat fait, au coeur de Bagdad, commerce de lions, de loups, et même d'ours.

Son animalerie est certes une niche dans le tissu des PME de la capitale irakienne, où les acheteurs de fauves ne sont pas légion, mais l'amoureux des félins se présente surtout comme un philanthrope, qui ouvre gratuitement chaque jour l'allée de sa ménagerie aux flâneries de centaines de Bagdadis.

«Les enfants et les familles sont déprimés en Irak. Je suis fier de donner un peu de bonheur aux gens», se réjouit Sabah Alazawi, 59 ans.

Trois cages d'un mètre sur deux encombrent le trottoir de la rue Machatel («pépinières» en arabe), une artère très fréquentée du quartier d'Azamiya (nord). À l'intérieur, deux oursons âgés de quatre mois, un lionceau de six mois et deux babouins de sept mois.

Un fil à la patte, un autre singe plus jeune encore saute d'une cage à l'autre. À côté, deux vautours comme cloués sur leur bûche parachèvent ce curieux tableau, sous les yeux médusés des passants et d'une double file d'automobilistes bloqués par un point de contrôle de l'autre côté de la chaussée.

À l'intérieur, des loups, des caracals, une autruche, des paons, un blaireau, un porc-épic et même deux jeunes alligators.

«Les animaux sont ma passion», sourit Sabah Alazawi, qu'une myriade de vieux clichés et d'articles de presse jaunis montrent avec quelques cheveux de plus en compagnie de lions, de loups ou d'un uromastyx, cet énorme lézard fouette-queue du désert irakien.

Et l'engouement est héréditaire: sur une photo, son fils Ammar à deux ans chevauchant un doberman. Sur une autre, le même Ammar 20 ans plus tard avec une écharpe de serpents vivants autour du cou.

Sabah Alazawi a ouvert son animalerie il y a une vingtaine d'années mais il n'a acquis son premier lion qu'en 2000. Depuis, il en a vendu une petite dizaine, principalement à des zoos irakiens, généralement aux alentours de 6 000 dollars par tête.

Il a aussi élevé trois ours. L'un a été confisqué par les Américains qui l'ont placé au zoo de Bagdad. Un autre a été vendu à celui de Diwaniya (sud) pour 1 500 dollars. Le troisième a été retrouvé mort dans sa cage un matin de 2006, au plus fort des violences confessionnelles dans ce quartier sunnite. Une balle dans le ventre.

Aujourd'hui, il compte un budget mensuel d'environ 2 500 dollars pour payer ses six salariés et la nourriture de sa ménagerie.

Son coeur de métier, ce sont les dizaines de molosses -dobermans, rottweilers et autres bergers allemands- qui aboient derrière les grillages d'enclos individuels exigus. M. Alazaoui propose une vingtaine de races pour un prix pouvant atteindre 800 dollars.

«Les chiens se vendent bien l'hiver, quand les gens restent chez eux, car ils les utilisent comme sentinelle dehors», explique-t-il, tandis que sa main joue machinalement avec le long bec d'un de ses trois pélicans.

Pour le plus grand plaisir des badauds, l'homme n'hésite pas à entrer dans la cage du lionceau qu'il caresse et taquine comme un gros matou.

«Je l'amène tous les jours de chez moi pour l'habituer à la présence humaine et le soir, il regarde la télé avec moi sur mon canapé», assure-t-il.

Falah Hassan, 31 ans, dit venir souvent se balader à la ménagerie, gratuite contrairement à celle du zoo Al-Zawra, dans le centre de Bagdad.

«L'affluence grandissante montre que les choses s'améliorent à Bagdad. Les gens sortent et se promènent plus qu'avant», explique-t-il.

Prochain arrivage rue Machatel: un couple de hyènes. Prix à débattre.