Mohammad Ahsan est désespéré. Une petite fabrique de vêtements l'a licencié l'an dernier. Après des mois de recherches, il a retrouvé un emploi mais, à 85 euros par mois, pas suffisant pour élever ses trois enfants. Il est l'une des innombrables victimes de l'effondrement de l'industrie du textile au Pakistan.

Ce secteur-clé de l'économie déjà vacillante de ce pays de 170 millions d'habitants est à l'agonie, à cause de la conjonction malheureuse de divers facteurs, le plus évident étant la concurrence, chinoise notamment, avec ses coûts de production très bas.

La production de coton, autrefois florissante au Pakistan, est sinistrée et les producteurs, plutôt que de fournir les innombrables fabriques de vêtements locales qui alimentaient il y a peu encore les plus prestigieuses marques au monde, exportent massivement, notamment en Chine, où la matière première est vendue bien plus cher.

Pire: les compagnies qui parviennent à conserver quelques contrats avec les marques occidentales ne parviennent plus à les honorer en raison des innombrables coupures d'électricité qui ruinent l'économie pakistanaise, jusqu'à 18 heures par jour dans certaines villes, forçant les patrons à licencier malgré des carnets de commande honorables.

C'est précisément cette pénurie de courant, atteignant des records dans la capitale économique du Pakistan, Karachi (située au sud du pays), mégalopole de plus de 15 millions d'habitants, qui a poussé le patron d'Ahsan à licencier ses employés.

Les experts prédisent une arrivée massive au chômage de millions d'autres salariés de ce secteur qui pèse 55% des exportations pakistanaises et occupe au moins 38% de la population active.

«Nous sommes condamnés», lâche Ahsan qui redoute d'être à nouveau licencié. Sa femme fait des ménages mais pour 19 euros par mois. «On n'arrive plus à joindre les deux bouts», lâche-t-il dans un minuscule appartement de deux pièces à Mauripur, un quasi-bidonville de la banlieue de Karachi.

Les grandes filatures pakistanaises se tournant vers l'exportation en Chine, c'est une condamnation à mort pour l'industrie textile, estiment les patrons de ce secteur.

Mi-mai, des grèves massives et de violentes manifestations ont paralysé les deux principaux pôles du textile pakistanais, Faisalabad (centre) et Karachi, les manifestants exigeant une interdiction de l'exportation du coton.

«L'exportation de cette matière première -la bouée de sauvetage des industries textiles à valeur ajoutée- fait que notre pays n'est plus compétitif et elle profite aux pays concurrents», estime Khurram Mukhtar, président de l'Association des Exportateurs de Textile du Pakistan.

«Si notre industrie s'effondre, des millions de travailleurs et leurs familles seront affamés et ce sera une catastrophe terrible», prédit-il, dans un pays dont la population s'enfonce chaque jour un peu plus dans la misère, face à une inflation galopante.

«C'est certain: l'incertitude qui pèse sur ce secteur pilier de nos exportations peut entraîner des licenciements massifs», reconnaît Mirza Ikhtiar Beg, conseiller du premier ministre pour le secteur du textile.

Pour calmer les manifestants, le gouvernement a imposé la semaine dernière une taxe de 15% sur les exportations de coton pour une période de deux mois.

Aussitôt, les producteurs et leurs ouvriers sont à leur tour entrés en grève et ont manifesté. «Nous avons fermé 450 filatures dans tout le pays pour protester contre cette entrave à notre liberté», a assuré à l'AFP Yasin Siddique, porte-parole des marchands de coton, qui promet des mouvements plus massifs.

Ces manifestations opposant les deux secteurs du textile, sur fond de chômage massif, pourraient rapidement dégénérer en violents heurts, avertissent les experts.