Une tache rose est visible au milieu des kilomètres d'embouteillages quotidiens de Beyrouth. La petite Peugeot de Banet Taxi tente de se faufiler entre les 4x4 rutilants, les vieilles Mercedes et les minibus qui zigzaguent dans un joyeux chaos.

Mais contrairement aux premières semaines, tout le monde ne se retourne plus sur son passage avec des yeux éberlués. Banet Taxi, littéralement «taxi pour filles», fait désormais partie du paysage.

L'entreprise a été lancée il y a un an au Liban, une première au Moyen-Orient. Le concept est simple: des taxis conduits par des femmes, réservés aux femmes et aux enfants.

«L'idée m'est venue lors d'un voyage en Thaïlande, où j'ai vu dans les rues des taxis roses, mais pas nécessairement conduits par des femmes. À l'époque, je ne savais même pas que les Pink Ladies Cabs avaient été lancés au Royaume Uni!» explique l'instigatrice du projet, Nawal Yaghi Fakhri.

Plus de sécurité

Les hommes n'ont le droit d'utiliser Banet Taxi que s'ils sont avec une femme. Sinon, ils sont gentiment priés d'aller voir ailleurs. «Au début, on a dit que le concept était sexiste, mais mon but était simplement de proposer un nouveau service qui offre plus de sécurité aux femmes, explique Nawal Yaghi Fakhri. Refuser des hommes permet surtout de protéger les conductrices.»

«Avant Banet Taxi, la nuit, je n'aurais jamais osé prendre un taxi conduit par un homme pour rentrer chez moi. Maintenant, c'est beaucoup plus simple. Avec une femme, il n'y a jamais d'histoires, et on se sent plus proches», dit Lynn, 17 ans.

Le succès de Banet Taxi est fulgurant, tant auprès des enfants qui rentrent de l'école que des femmes de tous âges, notamment les étrangères. Banet Taxi, qui compte plus de 1000 clientes, a plus que doublé son chiffre d'affaires en un an. De trois au début, son parc compte maintenant 10 voitures. Le concept marche tellement bien qu'il a récemment été lancé en Égypte.

Une affaire qui roule

«Nous employons une quinzaine de conductrices, et nous travaillons 24heures sur 24, assure Nawal Yaghi Fakhri, dans ses locaux roses flambants neufs. Nous avons fait entrer dans les moeurs le fait qu'une femme peut conduire un taxi. Avant, elles n'étaient que deux ou trois dans tout Beyrouth.»

Les conductrices de Banet Taxi ont en général plus de 30 ans et sont issues de toutes les confessions. Chadia, une nouvelle recrue, musulmane divorcée, endosse fièrement l'uniforme de rigueur: pantalon noir, chemise blanche et cravate rose. «Dans une société machiste comme au Moyen-Orient, c'est important de montrer que nous pouvons conduire un taxi comme les hommes. Nous les narguons un peu», lance-t-elle avec une pointe de malice.

L'essor de Banet Taxi fait d'ailleurs parfois grincer des dents. Dans l'entreprise Viva Taxi, la question fait débat. «Si toutes les femmes se mettent à conduire des taxis dans Beyrouth, ça deviendra dangereux pour nous!» prévient Joseph, un chauffeur de la vieille génération.

«Les femmes conduisent bien des voitures, alors pourquoi pas des taxis? réplique son collègue Abdallah. Je ne crois pas qu'il y aura de concurrence entre nous, car nous ne visons pas la même clientèle.»