Une récente querelle sur la nomination de femmes juges au Conseil d'État, compétent pour statuer sur les contentieux administratifs en Égypte, a révélé le malaise persistant qui entoure la question de la présence des femmes aux postes de haut niveau.

Lundi, le président du Conseil d'État, Mohammed al-Husseini, est passé outre la décision de l'assemblée générale de cette institution, qui a voté la semaine dernière à une écrasante majorité contre la présence de femmes juges au Conseil.

Le Conseil d'État est chargé de régler les contentieux administratifs liés à l'exercice du pouvoir public.

M. Husseini, qui dit appuyer sa décision sur la Constitution, fait depuis l'objet de vives critiques de la part de ses collègues, qui appellent à une réunion d'urgence pour casser sa décision. Certains envisagent même une procédure légale pour le démettre de ses fonctions.

Interdire les bancs du Conseil d'État aux femmes est «inconstitutionnel», affirme la magistrate Noha al-Zeini, du Parquet administratif, l'une des 42 femmes juges sur les 12 000 magistrats du pays.

Mme Zeini se dit «choquée» par le vote, même si elle admet qu'il ne fait que refléter le malaise de la société vis-à-vis de la présence des femmes à des postes de pouvoir ou de responsabilité.

«Il montre le rejet par la société des progrès effectués par les femmes. Mais la décision spolie les femmes de leurs droits», dit-elle à l'AFP.

En dépit de mesures prises pour éviter les discriminations, l'idée que la place de la femme est à la maison reste profondément enracinée dans la société égyptienne.

«Les circonstances ne sont actuellement pas favorables aux femmes pour être juges», estime ainsi le juge Mahmoud al-Khodeiri. «C'est un métier difficile, nous travaillons dans des conditions difficiles».

Les juges ne sont pas autorisés à présider des tribunaux sur leur lieu de résidence, dit-il, «alors une femme est-celle censée abandonner son mari et ses enfants pour aller travailler ailleurs? La maternité est quelque chose qui porte toute notre société, elle ne peut être ignorée».

L'organisation Human Rights Watch a condamné la décision de l'assemblée générale et appelé le gouvernement à mettre fin à aux discriminations contre les femmes dans ce domaine, les qualifiant d'«insulte aux nombreuses Egyptiennes qui sont entièrement qualifiées pour être juges».

Aujourd'hui, seules trois femmes font partie du gouvernement, sur 27 ministres.

Un quota a été imposé par une loi en 2009, qui exige qu'au moins 12% des sièges du Parlement (soit 64) soient occupés par des femmes.

M. Khodeiri, qui a démissionné l'an dernier de son poste d'adjoint à la tête de la Cour de Cassation pour protester contre le manque d'indépendance du pouvoir judiciaire, estime que les priorités devraient être revues.

«La situation est mauvaise pour les juges en général en ce moment. Remédions d'abord à cela, ensuite nous pourrons examiner la question des femmes», dit-il.

Mais Mme Zeini, qui a lancé une campagne sans précédent contre les fraudes électorales après avoir assisté à des irrégularités dans le bureau de vote qu'elle supervisait lors des législatives de 2005, considère qu'«il n'y a aucune raison pour laquelle la réforme du pouvoir judiciaire et la nomination de femmes juges n'iraient pas ensemble».

D'après elle, le concept de «droits de la femme» est souvent perçu en Égypte comme une idée importée de l'étranger. «En s'y opposant, les juges ont l'impression qu'ils conservent leur indépendance».

Jusqu'en 2007, date à laquelle 31 femmes juges ont été nommées par décret présidentiel, l'Égypte, avec ses 80 millions d'habitants, ne comptait qu'une seule magistrate.