Tous les matins, la jeune fille arrive au bureau cachée sous sa burqa. Elle enfile son uniforme, prend son pistolet et repart frapper aux portes, à la recherche de trafiquants de drogue et sympathisants talibans. À 22 ans, Gulbesha fait partie des rares femmes entrées dans la police afghane, et de celles, moins nombreuses encore, qui servent dans le sud du pays, bastion des fondamentalistes.

La police afghane ne compte qu'environ 500 femmes en service actif, contre environ 92 500 hommes. Les femmes occupent un rôle crucial dans les opérations de recherches et de contrôles et plusieurs milliers doivent être enrôlées au cours des cinq prochaines années. Un défi dans une société où la femme est censée se concentrer sur son foyer.

Malgré l'effort de recrutement, les 650 places actuellement réservées aux femmes ne sont pas toutes occupées. Et la plupart des recrues féminines travaillent dans des zones relativement sûres comme Kaboul ou la province de Herat (nord), selon les chiffres du ministère afghan de l'Intérieur et des forces américaines. Les familles découragent souvent les épouses ou filles d'accepter ces postes dangereux et souvent considérés comme corrompus.

Sur les 15 femmes policiers de la province de Helmand, dans le Sud, seules Gulbesha et deux collègues ont été autorisées par leurs familles à gagner la capitale Kaboul pour une formation de huit semaines qui s'achevait la semaine dernière, explique Robert Collett, un porte-parole de l'OTAN à Lashkar Gah, capitale du Helmand. Seules deux d'entre elles ont acceptées d'être interviewées, ne donnant que leur prénom pour protéger leurs familles de représailles des talibans.

La collègue de Gulbesha, Islambibi, 36 ans, est entrée dans la police parce qu'elle avait besoin d'argent. Quand elle s'est présentée au quartier général de la police à Lashkar Gah, il y a trois ans, elle cherchait un emploi de femme de ménage. «Mais quand ils m'ont dit combien ils payaient les personnes chargées du nettoyage, j'ai dit que ce n'était pas assez», raconte-t-elle. C'est ainsi que pour 250 dollars (173 euros) par mois, Islambibi est devenue la première femme policier de la province de Helmand, l'une des plus dangereuses du pays.

Dans une culture qui respecte encore une stricte séparation des sexes, les forces de sécurité ont besoin de femmes pour effectuer des tâches que ne peuvent remplir les hommes, comme perquisitionner les maisons en présence de femmes, ou fouiller d'autres femmes.

Le colonel Shafiqa Quraisha, qui dirige l'unité de la police afghane chargée des questions de genre, se rappelle un raid mené près de Kaboul au cours duquel les insurgés avaient rassemblés plusieurs femmes dans un endroit rempli de bottes de foin. Comme elle était là, elle avait pu fouiller les femmes et la pièce, et retrouver les armes cachées dans le foin.

Lors d'une perquisition, elle est toujours la première à passer la porte, afin que les hommes de la maison ne puissent pas dire que la police a violé les règles de bienséance en pénétrant dans une maison où se trouvaient des femmes. Elle porte un uniforme avec des pantalons et une jupe par-dessus, pour respecter la tenue traditionnelle des femmes de la région. En cas de raid, avant de bondir de sa voiture, elle arrache la jupe pour qu'elle ne la gêne pas si elle doit courir.

Etre une femme dans la police afghane, c'est aussi subir harcèlement et menaces. Le colonel Quraisha reconnaît que les femmes se plaignent régulièrement que leurs supérieurs masculins n'acceptent de demandes de promotion que si elles acceptent de prendre le thé ou déjeuner avec eux.

Islambibi rapporte avoir été attaquée par d'autres femmes lors d'interventions dans des villages. «Les hommes disent à leurs femmes de s'en prendre à moi. Alors elles se ruent sur moi et tentent de m'arracher mon foulard». Mais ce n'est pas ça qui la fera démissionner: «Je suis comme un homme. Je n'ai pas peur».

Et pourtant, l'Afghanistan reste marqué par la mort de Malalai Kakar, première femme à s'engager dans la police de Kandahar, bastion des talibans, après la chute de leur régime fin 2001. En septembre 2008, elle a été abattue devant chez elle par deux hommes à moto. L'assassinat de cette icône afghane, qui s'était fait connaître pour son courage face aux trafiquants de drogue, avait soulevé une profonde indignation dans le pays et la communauté internationale.

«Elle était toujours armée. Elle dormait même avec son arme», dit son père, le lieutenant-colonel Gul Mohammad Kakar, qui avait encouragé sa fille à rejoindre les rangs de la police. Ses assassins courent toujours. «On les cherche encore et quand je les trouverai je me vengerai».

Il y a six mois, Gulbesha a été attaquée à la sortie du bureau. Une voiture suspecte attendait et les hommes à l'intérieur dissimulaient leurs visages avec des foulards. «J'ai reculé, effrayée», raconte-t-elle. «Je sais que ce genre de personnes sont dangereuses».

À l'arrière, un homme a sorti une Kalashnikov et lui a tiré dessus, touchant un passant à la jambe mais manquant la jeune femme. Elle a dégainé son arme et riposté, blessant le conducteur au bras et égratignant le tireur. «Avant ça, j'avais peur», confie-t-elle. «Mais après, j'étais encore plus déterminée».