Parvenu au pouvoir à l'issue d'un scrutin marqué par la fraude massive, faisant face pour la première fois à une véritable opposition, Hamid Karzaï reprend jeudi ses fonctions présidentielles. Mais il est en position de faiblesse extrême. Sera-t-il capable de redresser l'Afghanistan qui s'enfonce dans la violence et la corruption? Ce sera difficile, mais pas impossible, croit l'analyste afghan Haroun Mir, que La Presse a rencontré cette semaine à Montréal.

Hamid Karzaï évolue sur un fil très mince. D'une part, il a des dettes politiques à payer. Or, ceux qui l'ont soutenu lors de la campagne électorale de l'été dernier ne sont pas tous des gens très fréquentables.

D'autre part, il doit montrer patte blanche non seulement à l'Occident, qui lui demande d'éradiquer la corruption, mais aussi à son principal adversaire politique Abdullah Abdullah, qui n'a pas encore décidé s'il reconnaîtra son prochain gouvernement.

Le président qui prête serment aujourd'hui à Kaboul est donc un leader sous surveillance, estime l'analyste afghan Haroun Mir.

«S'il veut gouverner le pays, Karzaï doit tendre une branche d'olivier à l'opposition, qui est en train de créer un premier parti politique regroupant tous les groupes ethniques afghans», dit Haroun Mir.C'est un président affaibli, qui n'a pas été élu par le peuple, mais nommé par la Commission électorale.»

Des signes positifs

Jeune quarantaine, allure occidentale, Haroun Mir a étudié la physique à Paris, puis l'économie dans une université américaine. En Afghanistan, il était un proche du commandant Ahmad Shah Massoud, assassiné deux jours avant les attentats du 11 septembre 2001.

Récemment, Haroun Mir dirigeait un centre d'analyse politique, fréquemment cité par les médias occidentaux. Rencontré à Montréal où il rend visite à sa famille, il a expliqué qu'il envisage d'abandonner le rôle d'analyste pour faire le saut en politique, comme candidat du parti d'Abdullah Abdullah aux prochaines législatives afghanes.

Cet engagement ne l'empêche pas de voir quelques signes positifs dans le contexte politique actuel en Afghanistan. Et d'espérer que le président Karzaï saura s'en saisir pour remettre le pays sur les rails.

Un de ces signaux positifs, c'est l'attitude de l'administration de Barack Obama, qui tranche avec la complaisance de George W. Bush. Sous pression occidentale, l'Afghanistan vient d'ailleurs de mettre sur pied une unité de lutte contre la corruption un événement qui n'est peut-être pas étranger au fait que la secrétaire d'État Hillary Clinton a décidé d'assister à la cérémonie d'investiture, aujourd'hui à Kaboul. Le ministre canadien des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, doit y être également.

Autre signe encourageant: le fait que le Pakistan se soit attaqué aux talibans du Waziristan-Sud, ce qui pourrait soulager la pression que ceux-ci exercent sur l'Afghanistan voisin, croit Haroun Mir.

Seigneurs de la guerre

Mais pour l'instant, rien n'est joué. Hamid Karzaï est-il vraiment décidé à changer? C'est lorsqu'il annoncera la formation de son prochain gouvernement que l'on pourra vraiment prendre la mesure de ses intentions, croit Haroun Mir.

Le choix des membres de l'administration afghane sera déterminant pour l'avenir du pays. Le hic, c'est que Hamid Karzaï doit beaucoup à des seigneurs de la guerre qui l'ont appuyé pendant la campagne électorale. Maintenant, ils attendent les renvois d'ascenseur. S'il n'y en a pas, ils risquent de se retourner contre lui.

Parmi ces amis à la réputation douteuse figure le seigneur de la guerre Rachid Dostom, qui s'attend à ce que ses hommes soient placés à des postes de gouverneur, de ministre ou d'ambassadeur.

Hamid Karzaï ne peut pas ignorer complètement cette demande. Mais il ne peut pas non plus se permettre de s'entourer de personnages corrompus et discrédités.

Une solution? Hamid Karzaï devrait déléguer la formation du cabinet à une commission chargée de confier des postes clés à des technocrates, suggère Haroun Mir. Une façon de se distancer de cette opération au potentiel explosif. «Hamid Karzaï a une mission délicate devant lui, mais ce n'est pas une mission impossible.»

 

La fraude et la peur

Le 20 août dernier, les Afghans ont voté lors d'un scrutin marqué par la violence, la peur et la fraude. Le président sortant Hamid Karzaï a remporté le plus de votes lors de cette élection - mais pas assez pour gagner dès le premier tour. Le second tour, prévu pour le 7 novembre, a été annulé lorsque le plus proche rival du président, Abdullah Abdullah, s'est retiré de la course. La Commission électorale afghane a alors confié la présidence à Hamid Karzaï, même si celui-ci n'a pas obtenu la majorité des voix.