La volonté affichée du président Hamid Karzaï de lutter contre la corruption qui gangrène l'Afghanistan risque de s'arrêter là où commence le pouvoir des seigneurs afghans, sur lesquels le chef de l'État fraîchement réélu s'appuyait jusque là pour gouverner.

Lundi, M. Karzaï, soumis à d'intenses pressions occidentales, a promis de renvoyer les responsables malhonnêtes, dont le maintien à leur poste perturbe le fonctionnement de l'État afghan et détruit la confiance de la population envers ses dirigeants. Mais pour les experts, les promesses du nouveau président, réélu via une élection entachée de fraudes massives, risquent de se heurter au pouvoir des seigneurs afghans - chefs de guerre ou hommes forts locaux - qui contrôlent de fait le pays et hantent les coulisses du pouvoir à Kaboul.

Le sanguinaire général Abdul Rachid Dostom, influent dans les provinces du nord, est ainsi revenu récemment dans la capitale après avoir appelé sa communauté ouzbèke à voter Karzaï pendant la campagne électorale.

Selon les observateurs, Dostom, connu pour sa férocité et ses revirements d'alliance, attend un retour d'ascenseur. «Pas de commentaires. Nous organiserons une conférence de presse bientôt», déclare son porte-parole, le général Karimzada.

«La probabilité que Karzaï s'attaque à la corruption est limitée, tout le système repose dessus. Il est entouré de personnages peu recommandables qu'il va devoir récompenser pour leur soutien (...). Le retour de Dostom ne présage rien de bon. On imagine mal l'arrestation de Fahim ou de Dostom», explique Mariam Abou Zahab, chercheuse au Centre français d'études et de recherches politiques.

Le maréchal tadjik Mohammad Qasim Fahim, plus haut gradé afghan, deviendra vice-président une fois M. Karzaï investi. Son choix pour ce poste a horrifié la communauté internationale.

Ce «seigneur de la guerre violant les droits de l'homme et trafiquant de la drogue pourrait avoir joué un rôle dans l'assassinat par Al-Qaeda de son parrain politique, le chef de guerre tadjik Ahmad Shah Massoud», soulignait fin août Hillary Mann Leverett, ex-membre du Conseil national de la sécurité américain.

Plus inquiétant encore, «Fahim détiendra et exercera une influence extraordinaire sur l'appareil sécuritaire et militaire du pays - plus que le président», s'inquiétait Mme Leverett dans une tribune parue dans Foreign Policy.

Dans le sud, à Kandahar, sévit le frère du président, Ahmad Wali Karzaï. «Le système est féroce. Le frère de Karzaï oblige des gens à vendre, exproprie des terrains d'autres tribus pour agrandir les terrains de sa tribu, il exerce une emprise sur le secteur privé, et il y a la drogue...», explique un diplomate occidental.

L'Afghanistan produit plus de 90% de l'opium mondial qui sert notamment à fabriquer l'héroïne, et le frère du président a été accusé à de nombreuses reprises d'en faire commerce, ce qu'il a toujours nié.

«Mon avocat à New York m'a conseillé de ne pas parler aux médias», a simplement réagi Ahmad Wali Karzaï.

Le frère Karzaï «n'est pas tout seul, il partage les profits avec Gul Agha Sherzaï», le gouverneur de la province de Nangarhar, dans l'est, qui «a gardé tout son business à Kandahar», affirme un expert occidental qui a demandé l'anonymat, car il «tient à la vie».

Le populaire Gul Agha Sherzaï, autrefois gouverneur de Kandahar, était pressenti pour être candidat à la présidentielle du 20 août, mais s'est retiré après une entrevue en tête-à-tête avec Hamid Karzaï au palais présidentiel.

Des sources diplomatiques estiment qu'il pourrait devenir ministre dans le prochain gouvernement.