Abdullah Abdullah a annoncé dimanche qu'en raison des risques de fraude, il ne participerait pas au second tour de la présidentielle afghane l'opposant au président sortant Hamid Karzaï, laissant ce dernier seul en lice et replongeant le pays dans l'incertitude politique. Abdullah s'est retiré de l'élection pour sauvegarder l'unité afghane.

«Pour protester contre le mauvais comportement du gouvernement et de la Commission électorale indépendante (IEC), je ne participerai pas à l'élection» de samedi prochain, a déclaré M. Abdullah lors d'un meeting.

Après les fraudes massives du premier tour en faveur de Karzaï (un quart des votes annulés), l'ancien ministre des Affaires étrangères réclamait notamment le renvoi du chef de l'IEC, chargée de l'organisation du scrutin et considérée pro-Karzaï, la suspension de trois ministres ayant fait campagne pour son adversaire et la fermeture de bureaux de vite «fantômes».

L'IEC comme M. Karzaï avaient rejeté ces demandes.

Dans ces conditions, «le second tour serait encore pire que le premier», a estimé M. Abdullah, soulignant néanmoins que «je n'ai pas appelé au boycott», alors que son camp avait menacé de recourir à cette tactique.

Laissant ses partisans choisir de voter ou non au second tour, M. Abdullah les a appelés à «ne pas descendre dans la rue, ne pas faire de manifestations», alors que les craintes de réactions violentes sont fortes.

Côté Karzaï, on a plaidé pour la poursuite du processus. «Nous pensons que l'élection doit se tenir», a déclaré Wahid Omar, son porte-parole de campagne.

Dans un communiqué diffusé plus tard, l'équipe Karzaï assure qu'elle acceptera «toute décision de l'IEC et d'autres institutions légales» concernant le scrutin.

Et le chef de l'ONU en Afghanistan, Kai Eide, a appelé à «amener ce processus électoral à une conclusion, de manière légale et dans les délais».

Peu après, les autorités électorales afghanes ont assuré dimanche qu'«il y aura un second tour» à l'élection présidentielle «comme prévu». après l'annonce du retrait de l'ancien ministre des Affaires étrangères.

«Nous devons respecter la loi, la loi est claire. (...) Il y aura un second tour. La loi stipule que si aucun candidat n'obtient 50% plus une voix (au premier tour, ndlr), il doit y avoir un second tour entre les deux premiers candidats», a déclaré à l'AFP Daoud Ali Najafi, un des membres de la Commission indépendante électorale (IEC), chargée de l'organisation du scrutin et du comptage des résultats.

«Le délai de rétractation est dépassé. La Commission avait instauré un délai pour cela, qui est maintenant écoulé. Par conséquent, la Commission est déterminée à mener un second tour. Nous tiendrons un second tour comme prévu», a ajouté M. Najafi.

Selon des sources diplomatiques, l'éventualité du retrait d'un candidat du second tour n'est pas prévue dans la constitution, et ce serait donc à la cour suprême, considérée pro-Karzaï, de juger.

«On est parti pour que la cour dise que l'élection est confirmée et Karzaï élu. Puis ce sera confirmé par l'IEC», estime un diplomate européen sous couvert d'anonymat.

«Après, il ne restera plus qu'à saluer le courage de l'un et de l'autre», a ironisé le diplomate, sans illusions sur la crédibilité du processus électoral.

Le retrait d'Abdullah, crédité de 30,59% des voix au premier tour, lui évite une probable défaite contre M. Karzaï (49,67%), jugent les observateurs.

Haroun Mir, du Centre afghan de recherches et d'études politiques, pense que l'élection pourrait se tenir, au risque de faire perdre toute légitimité à M. Karzaï.

«Si la participation est très basse, sous 20%, même s'il est déclaré vainqueur, il lui manquera la légitimité».

Du coup, M. Abdullah «pourrait refuser de reconnaître sa légitimité et son autorité», craint-il.

La décision de M. Abdullah replonge l'Afghanistan dans une totale incertitude politique, en pleine flambée des violences des talibans. Depuis que ces derniers ont été chassés du pouvoir fin 2001, 2009 est l'année la plus meurtrière à la fois pour les civils, les forces afghanes et les 100 000 soldats étrangers déployés dans le pays.

Les talibans ont répété dimanche qu'ils augmenteront leurs attaques si le processus électoral se poursuit. Et le retrait de M. Abdullah «n'a aucune signification pour nous», a asséné un de leurs porte-parole, Yousuf Ahmadi.

Au final, ce scrutin peu crédible s'est plus réglé en coulisses que dans les urnes. Arc-bouté sur sa certitude d'avoir gagné au premier tour, le président Karzaï n'avait ainsi accepté un second round qu'après de fortes pressions internationales.