La Turquie et l'Arménie ont signé samedi à Zurich (Suisse) des accords historiques visant à normaliser leurs relations, hantées depuis près d'un siècle par le souvenir des massacres d'Arméniens.

Après avoir signé ces accords, le ministre turc des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu et son homologue arménien Edouard Nalbandian se sont longuement serré la main avant de se congratuler avec les chefs des délégations européenne, française, suisse, américaine et russe.

Pour entrer en vigueur, les accords doivent encore être ratifiés par les parlements des deux pays, un processus qui pourrait traîner en longueur en raison de l'hostilité de nombreux députés à Ankara et à Erevan.

Dans ce contexte de ressentiments et de conflit, le rapprochement se heurte en effet à de profondes résistances dans les populations des deux pays ainsi que dans la diaspora arménienne.

Les relations entre Turcs et Arméniens sont hantées par le souvenir des massacres et déportations d'Arméniens en 1915-1917: plus d'un million et demi de morts selon l'Arménie, 300 000 à 500 000 selon la Turquie, qui récuse le terme de génocide.

La notion de génocide des Arméniens est reconnue par la France, le Canada et le Parlement européen.

À Zurich, le suspense a régné jusqu'au bout: la cérémonie à l'Université de Zurich a été retardée de près de trois heures et demie en raison d'une «difficulté de dernière minute» soulevée par la délégation arménienne concernant le discours que devait prononcer M. Davutoglu, a indiqué un diplomate turc.

Finalement, pour régler le problème, il a été décidé qu'aucune allocution ne serait prononcée: le choix était «de tuer le processus ou de ne faire aucun discours», a expliqué le diplomate.

Le litige a provoqué une valse-hésitation durant l'après-midi: peu avant 17h locales, l'heure prévue pour la cérémonie, la voiture transportant la secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton vers l'Université a fait demi-tour pour revenir à l'hôtel où elle avait établi ses quartiers.

Des conciliabules se sont alors engagés avec le secrétaire d'Etat adjoint américain pour les affaires européennes et eurasiennes Phil Gordon.

Le ministre arménien et Mme Clinton sont finalement arrivés à l'Université de Zurich avec deux heures de retard sur l'horaire prévu. Le ministre turc et toutes les autres délégations les attendaient: la ministre suisse des Affaires étrangères Micheline Calmy-Rey, leurs homologues russes Sergueï Lavrov et français Bernard Kouchner et le chef de la diplomatie européenne Javier Solana.

Il a fallu attendre encore près d'une heure et demie pour que la cérémonie puisse avoir lieu, à 20h20 locales.

Outre la question des massacres d'Arméniens, le conflit du Nagorny-Karabakh a envenimé le contentieux entre les deux pays. Au terme d'une guerre de six ans (de 1988 à 1994), Erevan a pris le contrôle de cette enclave peuplée d'Arméniens en Azerbaïdjan, allié de la Turquie qui a fermé en 1993 sa frontière avec l'Arménie en guise de représailles.

Les accords signés samedi prévoient notamment la réouverture de la frontière dans les deux mois suivant leur entrée en vigueur.

S'adressant solennellement à la nation, le président arménien Serge Sarkissian a assuré samedi qu'il n'y avait «pas d'alternative» aux accords, au lendemain d'une manifestation à Erevan de plusieurs milliers d'adversaires du rapprochement avec Ankara.

L'opposition arménienne n'en pas moins condamné leur signature.

«Avec la signature de ces protocoles, nous sommes entrés dans une période de grands risques et de lourdes incertitudes», a déclaré à l'AFP un des leaders de l'opposition, Stepan Safarian, du parti Heritage.

En Turquie aussi, l'opposition a vivement protesté. Onur Öymen, vice-président du principal parti d'opposition, le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate) a parlé d'une «abdication» du gouvernement turc.

Et Mehmet Sandir, un responsable du Parti de l'action nationaliste (MHP, nationaliste), a déploré «un jour noir pour la Turquie».

Les États-Unis et l'Union européenne se sont au contraire réjouis.

Ces accords sont «historiques» et mettent fin à «des décennies d'hostilité et de division», a déclaré Phil Gordon.

La Commission européenne s'est félicitée «d'un pas courageux (...) vers la paix et la stabilité dans la région du sud du Caucase». La présidence suédoise de l'UE a aussi jugé que la normalisation contribuerait «à la sécurité, la stabilité et la coopération» dans la région.