Le Conseil des droits de l'homme de l'ONU étudie depuis mercredi le rapport Goldstone sur l'offensive militaire israélienne dans la bande de Gaza. La brique de 575 pages recommande de traduire en justice les responsables des crimes de guerre commis à cette occasion. Au coeur du débat: peut-on mettre fin à «la culture de l'impunité» dans ce coin du globe ?

«La culture de l'impunité» a trop duré au Proche-Orient, a dénoncé hier le juge Richard Goldstone en présentant son rapport sur la guerre de Gaza devant le Conseil des droits de l'homme de l'ONU.

Ce rapport conclut que l'armée israélienne a commis des crimes de guerre, et vraisemblablement des crimes contre l'humanité, lors de son offensive dans la bande de Gaza, il y a neuf mois. Il blâme aussi les groupes armés palestiniens pour leurs attaques contre les civils israéliens, qualifiées elles aussi de crimes de guerre. Et il fait porter au Hamas la responsabilité des guerres interpalestiniennes.

Le Hamas a rejeté ce rapport. Furieux lui aussi, Israël a lancé une offensive diplomatique pour discréditer les conclusions du juge Goldstone, qu'il accuse d'avoir produit un document déséquilibré en faveur des Palestiniens.

Ces derniers jours, Human Rights Watch et Amnistie internationale ont appelé la communauté internationale à approuver les conclusions du rapport. Mais hier, le représentant américain Michael Posner l'a plutôt jugé «disproportionné».

Ce document prête effectivement flanc à la critique. Mais pas assez pour rejeter son principal constat: dans ce conflit, les deux parties ont délibérément infligé des souffrances inutiles à des populations civiles.

Visées larges

Le juge Goldstone a pris le parti de viser très large. Il décrit en détail l'impact de l'occupation israélienne dans les territoires palestiniens en plus des trois semaines d'affrontement. Résultat: les «péchés» d'Israël y occupent une place prépondérante et donnent l'impression que les quelques pages consacrées aux roquettes palestiniennes ne sont là que pour faire bonne figure.

Le rapport occulte aussi le rôle des dirigeants du Hamas dans les tirs contre Israël, attribués aux seuls «groupes armés» palestiniens, comme si ces groupes n'entretenaient aucun lien avec les patrons de Gaza.

Mais ce n'est pas une raison pour rejeter la conclusion de fond du rapport, qui documente plusieurs cas où l'armée israélienne a délibérément détruit l'infrastructure économique de Gaza, en bombardant un poulailler, un moulin à farine ou des installations d'égout. Et qui détaille plusieurs attaques démesurées contre des zones civiles où l'argument de tirs défensifs ne tient pas la route.

Et à supposer même que ces attaques aient pu être justifiées par des raisons militaires, le juge Goldstone et ses collaborateurs n'ont pas eu l'occasion de le vérifier: Israël leur a refusé toute collaboration.

Ses enquêteurs n'ont d'ailleurs même pas pu entrer en Israël - ils ont dû se rendre en Suisse (!) pour recueillir les témoignages des Israéliens victimes des roquettes palestiniennes. Comme quoi Israël, qui reproche au juge Goldstone de l'avoir condamné à l'avance, nourrissait lui aussi quelques préjugés...

Incidents crédibles

Certains des incidents cités par le rapport Goldstone sont d'autant plus crédibles qu'ils sont conformes à la politique d'Israël à l'égard du Hamas depuis sa victoire aux législatives de 2006.

Cette politique peut se résumer ainsi: plus on étrangle Gaza sur le plan économique, plus ses habitants voudront se débarrasser du Hamas, qu'ils tiendront pour responsable de leurs souffrances.

En réalité, cette politique renforce l'emprise du Hamas sur cette population privée de tout.

Sur le plan militaire, cela conduit à une stratégie qui a été énoncée peu de temps avant l'offensive contre Gaza par le commandant israélien Gadi Eisenkot.

Cela s'appelle «la doctrine de Dahiya», du nom d'un quartier de Beyrouth contrôlé par le Hezbollah et lourdement bombardé à l'été 2006. Et cela consiste à viser des civils en signe de représailles - ce qui constitue précisément un crime de guerre, affirme le juge Goldstone.

Le juge Goldstone met trop l'accent sur les crimes de l'armée israélienne et ne blâme pas assez le Hamas? «Ce n'est pas une coïncidence; la majorité des morts et de la destruction ont eu lieu du côté palestinien», rétorque Daniel Levy, ancien conseiller de l'ex-premier ministre israélien Éhoud Barak...

Dans un article publié dans The Guardian, Daniel Levy suggère à l'État hébreu de saisir l'occasion pour mettre au rancart la «doctrine de Dahiya» et cesser d'infliger aux Palestiniens des punitions collectives.

Pour l'instant, Israël se sert plutôt des défaillances du rapport Goldstone pour le torpiller conformément à une stratégie vieille comme le monde, qui consiste à tirer sur le messager.

La guerre de Gaza

Selon l'organisation israélienne des droits de l'homme B'tselem, 1387 Palestiniens, dont 773 civils, ont perdu la vie pendant les trois semaines d'affrontements. Le gouvernement israélien établit ce bilan à 1166 morts, dont plus de 700 militants. Tout le monde s'entend sur le nombre de victimes israéliennes: 13, dont 9 militaires.