Former un gouvernement au Liban, pays multiconfessionnel par excellence, n'est pas une sinécure. Cette tâche, le jeune premier ministre désigné, Saad Hariri, se l'est vu confier il y a 10 semaines, au lendemain des élections de juin. Hier, exaspéré, il a jeté l'éponge. Survol des enjeux pour le Liban, qui peine à mettre fin à cinq ans de crise politique.

Q Qui est Saad Hariri ?

R Homme d'affaires milliardaire et musulman sunnite, Saad Hariri, 39 ans, est le fils de l'ancien premier ministre libanais Rafic Hariri, assassiné en 2005 lors d'un attentat à la voiture piégée. Après l'attentat qui a plongé le pays dans une crise politique, Saad Hariri est rentré de l'étranger pour diriger le parti créé par son père, le Courant du futur. Il s'est allié à d'autres partis pro-occidentaux pour créer l'Alliance du 14 mars. Cette coalition a remporté haut la main les élections de juin 2009. À la suite de ce scrutin, le président libanais, le chrétien Michel Suleiman, a demandé à Saad Hariri de créer un gouvernement. Selon la Constitution, ce poste revient toujours à un musulman sunnite.

Q Pourquoi Saad Hariri ne réussit-il pas à former un gouvernement ?

R Même si son alliance détient la majorité parlementaire, Saad Hariri ne peut pas pour autant former le gouvernement qu'il entend. Une entente signée avec le Hezbollah en 2008 l'oblige à faire de la place pour l'opposition dans l'exécutif. Selon la proposition d'Hariri, sur les 30 postes de ministres, 15 reviendraient à la majorité parlementaire, 10 à l'opposition contrôlée par le Hezbollah et 5 seraient redistribués par le président Suleiman. La dernière liste qu'Hariri a présentée n'a pas été acceptée par l'opposition.

Q Qu'est-ce qui bloque ?

R Le leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a ouvertement critiqué les choix de M. Hariri, mais ce serait le politicien chrétien, Michel Aoun, qui aurait fait dérailler les négociations. Ce dernier, à la tête du plus grand bloc de députés chrétiens au Parlement, veut que son gendre, Gibral Bassil, devienne ministre des Communications. Ce ministère est crucial en ce moment, puisqu'il a juridiction sur des archives qui sont au coeur de l'enquête sur l'assassinat de Rafik Hariri. Puisque la Syrie et le Hezbollah sont soupçonnés d'avoir participé au meurtre, Saad Hariri n'a aucun intérêt à ce que ce ministère soit contrôlé par le clan adverse.

Q Comment la crise politique libanaise s'inscrit-elle dans la dynamique régionale ?

R À travers les luttes de pouvoir au Liban, on distingue la plupart du temps le poids politique d'autres grandes puissances. L'Alliance du 14 mars de Saad Hariri est soutenue par les États-Unis et l'Arabie Saoudite. L'opposition, elle, est très proche de la Syrie et de l'Iran.

Q Que signifie la démission de Saad Hariri pour la suite des choses ?

R Un nouveau premier ministre devra être nommé. Selon Sami Aoun, professeur de sciences politiques à l'Université de Sherbrooke, ce pourrait être de nouveau Saad Hariri, qui pourrait alors décider de nommer un gouvernement de technocrates apolitiques qui géreraient l'État. Ou l'ancien premier ministre Fouad Siniora, pas très apprécié du Hezbollah. Selon M. Aoun, l'impasse politique dans laquelle se trouve le Liban démontre que le système de gouvernance par consensus établi à la fin de la guerre civile, « qui est en fait de la gestion confessionnelle» a atteint ses limites. « Le Liban envoie le message qu'il n'est pas autogouvernable».