Les insurgés afghans ont profité de l'incapacité gouvernementale à endiguer les violences pour s'étendre vers le nord et l'ouest, longtemps exempts de rebelles, devenant parfois eux-mêmes synonymes de sécurité et de justice pour la population, selon les experts.

Alors que l'Afghanistan attend toujours les résultats de l'élection présidentielle du 20 août dernier, prévus au plus tard lundi, un attentat suicide dans la province du Laghman (est) a tué mercredi 20 civils, le numéro deux des services secrets afghans, le chef du conseil provincial et deux autres officiels. L'expert afghan Ahmad Sayedi, ancien politicien et diplomate, fustige «l'échec des institutions de sécurité afghanes».

«Que les talibans arrivent à assassiner le chef du conseil provincial et le chef adjoint des services secrets» dans le Laghman généralement plutôt calme «montre qu'ils étendent leur influence», juge-t-il.

D'autres attaques - le 25 août à Kandahar (sud), où 43 civils avaient péri dans l'explosion d'un camion piégé, et le 15 août devant le QG de l'OTAN Kaboul, zone la plus sécurisée du pays, alors que toutes les forces de sécurité étaient mobilisées pour les élections - avaient rappelé aux Afghans l'incapacité des autorités à assurer leur sécurité.

«Le fossé se creuse de jour en jour» entre le gouvernement «paralysé par la corruption et l'incompétence» et la population, «qui ne soutient pas les talibans mais est consternée par l'étendue incroyable de la corruption officielle», déplore M. Sayedi.

Le résultat est l'apparition d'une «nostalgie de la rude justice des talibans», au pouvoir de 1996 à 2001, car même si les Afghans «ne l'aimaient pas, au moins les règles étaient claires», contrairement au système judiciaire actuel, embryonnaire et rongé par la corruption, estime l'employée étrangère d'une ONG.

Dans le sud (Helmand, Kandahar) où les talibans sont fortement implantés, «la population les soutient. Ils apportent ce que ni le gouvernement ni les troupes étrangères n'apportent: sécurité et justice», affirme la chercheuse française Mariam Abou Zahab, du Centre d'études et de recherches internationales (CERI) français.

Dans ces régions où le gouvernement contrôle à peu près les villes et très peu les campagnes malgré les nombreuses offensives militaires des derniers mois, il existe «des tribunaux talibans», «une justice efficace, rapide, non corrompue, gratuite et vue comme juste par la population. Il y a même à Kandahar un ombudsman auprès duquel on peut se plaindre des talibans», ajoute la chercheuse.

Quant au nord et à l'ouest, quasi exempts de présence rebelle il y a quelques mois encore, ils ont vu s'installer des checkpoints rebelles sur des routes jusque-là sures, comme dans les provinces de Kunduz et Takhar, rapporte le chercheur afghan Haroun Mir, de retour d'une tournée post-électorale dans le pays.

D'après lui, «les talibans viennent remplir un vide». Comme «il n'y a pas assez de forces de sécurité pour protéger tout le monde», la population choisit «la sécurité des talibans», ce qui lui évite aussi d'éventuelles «représailles» pour cause de soutien au gouvernement.

Les forces internationales ont changé de doctrine militaire récemment, privilégiant dorénavant la protection des civils dont elles veulent gagner les coeurs. Les États-Unis devraient se prononcer prochainement sur l'envoi de nouveaux renforts militaires.

Pour Mariam Abou Zahab, «l'envoi de nouvelles troupes ne peut que nourrir l'insurrection. Comment faire admettre à l'Afghan de base (...) qu'il n'y a pas de solution militaire, qu'on veut protéger la population et en même temps envoyer toujours plus de troupes qui tuent des Afghans? C'est incohérent».

«Les Occidentaux ne vont jamais «gagner les esprits et les coeurs», c'est complètement illusoire», assène la chercheuse française.