En Afghanistan, le statut de la femme n'est pas particulièrement ouvert et moderne. Depuis la «libération» du pays il y a huit ans, à Kandahar, où sont stationnées les troupes canadiennes, les femmes n'ont vu aucune évolution positive. C'est même l'inverse, comme le raconte Anne Nivat, qui a dû se faire la plus discrète possible sous sa burqa. Dans le dernier d'une série de deux reportages, elle explique aussi que la ville de Kandahar, sous le contrôle d'autorités sans vergogne de mèche avec des «talibans» mafieux, est livrée au chaos.

«Loin de s'être améliorée, en huit ans, notre vie quotidienne n'a fait qu'empirer, jusqu'à devenir un enfer», n'hésite pas à dénoncer Youssif (ce n'est pas son vrai nom), 38 ans, un homme d'affaires de Kandahar, l'ex-capitale des talibans et ville natale du mollah Omar, dont la luxueuse maison a été transformée en quartier général de l'antenne locale de la CIA. «Chaque personne refusant de reverser un pourcentage de son chiffre d'affaires devient l'objet d'un harcèlement quasi quotidien des fonctionnaires de la ville et de la région de Kandahar qui, à tous les niveaux, quel que soit leur grade, sont tous terrorisés par Ahmed Wali Karzaï (le frère du président) et ses sbires», dit-il.

«Ils ont conclu une entente avec les talibans: on vous laisse tranquilles si vous dénoncez ceux que l'on rackettera. Tout le monde courbe l'échine», ajoute l'homme d'affaires.

Étrange ambiance à Kandahar où, il y a un an exactement, 1500 talibans parvenaient à s'enfuir de la prison de la ville pour s'évaporer dans la nature (l'enquête n'a jamais établi les responsabilités). Une ville où, à la fin du mois de juin dernier, une fusillade a éclaté en plein centre-ville, en plein jour, entre des policiers afghans et des employés d'une société de sécurité privée sous contrat avec l'armée américaine. Policiers responsables de la protection, justement, du bâtiment de la CIA.

Résultat: quatre morts, dont le chef de la police, et une atmosphère chargée de peur pour les Kandaharis.

Attaquées à l'acide

Afin d'échapper à des représailles, Youssif a installé sa famille à Dubaï, à deux heures d'avion plus au sud, et limite ses allers et retours sous bonne escorte. «Au lieu de créer des emplois, comme tous le promettent pendant cette campagne, on en détruit. C'est la terreur.»

C'est bien l'avis de Nasifa, 26 ans, une jeune productrice radio pour la BBC service pachtou, qui doit cacher ses activités professionnelles à ses voisins et même à sa famille. Elle et ses parents ont dû déménager après des menaces sur sa porte d'entrée la dénonçant comme «travaillant pour des étrangers».

«On a dû aussi vendre notre voiture, car on surveillait mes allées et venues. Je voyage exclusivement en taxi et je cache mon matériel chez moi», regrette-t-elle. Un léger voile rose sur les épaules, le visage cerclé d'un voile noir, sans un cheveu qui dépasse, Nasifa a abandonné sa burqa sur la table le temps de notre entretien.

C'est elle qui, en novembre 2008, avait été la première sur les lieux où deux criminels avaient jeté de l'acide sur six jeunes filles qui revenaient de leur école. «Leurs visages étaient cachés sous la burqa, bien évidemment», précise Nasifa. «Aujourd'hui, ces filles sont terrées chez elles; même moi, j'ai peur dans la rue, j'y suis le moins possible.»

À son tour, Nasifa incrimine la faiblesse du gouvernement central, qualifié de «bande d'incapables qui s'est laissée déborder par des mafieux auto proclamés talibans».

Spirale de l'enfer

Les six jeunes filles défigurées sont aujourd'hui éduquées à domicile par Yasmina, une institutrice qui a le courage de se rendre chez elles trois fois par semaine en sus de ses heures de cours, pour un salaire mensuel de 80$.

«Ce que l'on ne dit pas, c'est que, souvent, les parents envoient leurs filles à l'école uniquement pour recevoir de la nourriture ou d'autres bénéfices en nature (distribués par des organisations non gouvernementales occidentales et afghanes), et non pas pour leur assurer un avenir, car, de toute façon, elles stopperont toute étude dès qu'elles se marieront, vers 15-16 ans, parfois 13 ou 14.»

Déçue par ces huit années post-talibanes qui ne lui ont apporté aucune aisance matérielle, Yasmina ne changerait de travail pour rien au monde, parce qu'elle se sent utile. Venue accompagnée de sa soeur et de son fils de 4 ans pour se faire moins remarquer dans la rue, au moment du départ, elle passe dans une autre pièce enfiler sa burqa bleue qui la rend invisible.

«Demain, si je dois sortir, j'en mettrai une marron, ainsi les voisins et autres hommes dans la rue ne pourront pas forcément savoir que je sors et comptabiliser ainsi mes allées et venues...» Dans l'Afghanistan post-talibans, c'est le triste stratagème inventé par les femmes pour échapper à la spirale de l'enfer.

Anne Nivat est une journaliste indépendante réputée qui sillonne la région depuis 2001. Elle est l'auteure d'une récente bande dessinée intitulée Correspondante de guerre.

Sondage

AP

Un sondage américain publié hier indique que 44% des Afghans voteront pour Hamid Karzaï à la présidentielle de jeudi. Son rival Abdullah Abdullah se classe deuxième, avec 26% des intentions de vote.