Face aux pertes de plus en plus lourdes essuyées par les pays impliqués militairement en Afghanistan, le soutien à la guerre s'effrite en Europe et au Canada et certains gouvernements doivent justifier leur engagement devant des opinions publiques réticentes. Les États-Unis risquent ainsi d'avoir de plus en plus de mal à mobiliser des ressources supplémentaires pour intensifier la lutte contre les talibans.

L'administration américaine a opéré un changement de stratégie pour déplacer le poids de son effort de guerre de l'Irak vers l'Afghanistan. Les États-Unis, qui assurent le commandement de la force internationale de l'OTAN en Afghanistan, y comptent désormais environ 59 000 hommes, près du double d'il y a un an, et des milliers d'autres sont en route. Environ 32 000 autres militaires étrangers sont stationnés actuellement dans le pays.

Avec l'intensification des opérations de combat, le mois de juillet est déjà le plus meurtrier pour les États-Unis et l'ensemble des forces de l'OTAN, avec 65 soldats tués, dont 37 Américains et 19 Britanniques. La plupart ont péri dans le sud, théâtre d'offensives majeures des troupes internationales dans les fiefs talibans.

En Europe, «une lassitude» se fait jour face à la mission, explique Etienne de Durand, directeur du centre des études de sécurité et spécialiste de l'Afghanistan à l'Institut français des relations internationales (Ifri). D'après un sondage paru jeudi, une majorité de Britanniques, d'Allemands et de Canadiens sont opposés à une augmentation de leurs contingents en Afghanistan.

En Grande-Bretagne, l'un des pays envoyant des renforts avant la présidentielle du 20 août, les soldats tombés en Afghanistan suscitent un débat qui place Gordon Brown dans une situation délicate. Pour la première fois cette semaine, des critiques sont montées au sein même de son gouvernement, le secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères Mark Malloch Brown estimant que les troupes en Afghanistan manquaient d'hélicoptères, contrairement aux affirmations du Premier ministre qui assure qu'ils disposent de l'équipement nécessaire.

D'après un sondage mené dans 24 pays, soit près de 27.000 sondés entre le 18 mai et le 16 juin, par le Centre de recherches américain Pew, 48% des Britanniques souhaitent un retrait des troupes et 46% leur maintien.

Au Canada, où l'opposition est encore plus forte au déploiement de 2 500 soldats dans la province de Kandahar, en plein coeur de l'insurrection, la moitié des sondés se disent favorables au retrait, contre 43% qui souhaitent le maintien.

En Allemagne, l'ensemble de la classe politique ou presque soutient toujours la présence de quelque 4000 hommes dans les provinces du nord, relativement calmes. Mais le gouvernement doit fréquemment se justifier, une majorité d'Allemands étant contre l'implication de leurs troupes dans des missions de combat, selon les sondages.

Depuis leur déploiement en 2002, 35 militaires allemands ont été tués en Afghanistan, dont trois le 23 juin quand leur blindé a plongé dans une rivière après avoir été attaqué par des insurgés près de Kunduz. Le ministre de la Défense Josef Jung a reconnu lors de leurs funérailles que ces décès «nous posent à tous la question du sens de cette mission en Afghanistan». Mais la chancelière Angela Merkel, qui brigue un nouveau mandat lors des élections de septembre, a ensuite expliqué qu'il n'y a «pas d'alternative sensée» au déploiement de l'OTAN: «Nous n'esquiverons pas cette tâche».

La France, qui a perdu en août dernier 10 hommes dans une embuscade meurtrière, n'a pas voulu renforcer les 2900 soldats stationnés dans le centre de l'Afghanistan, préférant intensifier l'aide à la reconstruction, la formation de la police ainsi que des missions humanitaires.

Jeudi, le vice-président américain Joe Biden a prévenu que les pertes internationales allaient sans doute encore grimper, mais «en terme de l'intérêt national» des États-Unis et de l'Europe», le conflit «mérite l'effort que nous faisons et le sacrifice qui est ressenti». Mais le secrétaire américain à la Défense Robert Gates a reconnu que la nouvelle stratégie, qui tente aussi de mettre l'accent sur le renforcement des autorités civiles et la protection de la population, devra montrer des résultats d'ici 18 mois à deux ans, sous peine de perdre le soutien de l'opinion publique.

D'après le sondage Pew, 57% des Américains sont favorables au maintien des troupes en Afghanistan, contre 38% qui souhaitent leur retrait. Mais un sondage AP-GfK effectué entre le 16 et le 20 juillet donne des résultats très différents: 53% des Américains, contre 44%, se déclarent opposés à la guerre. Pour Christopher Langton, de l'institut international d'études stratégiques basé à Londres, il reste chez les Américains une base persistante de soutien à la guerre, mais cela ne veut pas dire qu'ils soutiendraient forcément un niveau élevé d'opérations de combat.