Les prochains jours seront cruciaux dans l'épreuve de force qui oppose le régime iranien à Téhéran aux manifestants qui estiment s'être fait «voler» l'élection présidentielle du 12 juin, jugent les analystes.

«Le bras de fer dans la rue est une erreur, je veux qu'il y soit mis fin», a clamé hier le guide suprême iranien, Ali Khamenei. Réitérant la victoire du président Mahmoud Ahmadinejad, il a affirmé que celui-ci a remporté l'élection avec 24 millions de voix.

Dans sa première apparition publique depuis le jour du vote, Ali Khamenei, qui détient les véritables rênes du pouvoir en Iran, a assuré que la présidentielle a «témoigné de la confiance du peuple dans le régime».

Désormais, tout rassemblement de protestation est interdit et la responsabilité de nouvelles manifestations sera attribuée à leurs «organisateurs», a-t-il averti, visant les candidats réformateurs Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi.

Des messages de défi ont aussitôt été postés sur Twitter, le réseau Internet qui a été pris d'assaut par les opposants de Mahmoud Ahmadinejad.

«Khamenei n'a toujours pas repris le contrôle, continuez à chanter Allah Akbar (Allah est grand) toute la nuit», suggérait l'un d'entre eux hier, faisant référence au cri de ralliement des manifestants.

«Si Ahmadinejad reste au pouvoir sans un scrutin légitime, l'ulcère ne peut que s'infecter», prévoyait un autre internaute.

Les protestataires appellent à une nouvelle manifestation aujourd'hui à Téhéran. S'ils craignent un durcissement de la répression qui a fait une dizaine de morts jusqu'à maintenant, ils misent sur la force du nombre pour inciter les forces armées à faire preuve de retenue, révèlent des témoignages recueillis par la BBC.

«Ils peuvent nous faire peur si nous sommes 2000, mais que pourront-ils contre un million?» demandait Behrooz, un étudiant de la capitale.

«Ce qui m'inquiète, c'est que le discours de Khamenei n'incite les basijis (milices prorégime) à massacrer l'opposition», a écrit un autre correspondant de la BBC.

L'appel à manifester sera-t-il entendu? Ou le mouvement de protestation se dégonflera-t-il sous la menace? Le régime écrasera-t-il les protestataires ou cédera-t-il sous leur pression?

Tout est possible

«En Iran, tout est possible, mais il ne faut jamais écarter les hypothèses les plus dures», pense Houchang Hassan-Yari, politicologue au Collègue militaire du Canada.

D'origine iranienne, ce dernier croit que l'étau se resserre autour des leaders opposés au courant politique dominant.

«Plusieurs personnalités importantes ont été arrêtées et il y aura une accélération des arrestations dans les jours qui viennent», prévoit-il.

Et puisque le «guide suprême» a mis la responsabilité des manifestations sur leurs épaules, cette vague pourrait atteindre Moussavi et Karoubi, les deux candidats officiellement défaits le 12 juin.

M. Hassan-Yari cite une anecdote qui montre bien l'étendue des protestations: des agents de la sécurité ont investi un immeuble de l'ouest de Téhéran, à la poursuite de manifestants. Ils y ont trouvé... des enfants de députés qui siègent au Parlement.

Car les manifestations ne forment que la partie visible d'une partie de bras de fer qui se joue dans les coulisses du pouvoir clérical iranien.

L'un des acteurs de cette confrontation est l'ayatollah Hachemi Rafsanjani, qui a présidé la république islamique au début des années 90. Et qui est proche des réformateurs.

Des dissidences?

Le régime actuel n'ose pas s'en prendre à cette figure emblématique. Mais va-t-il s'attaquer à sa famille? se demande Houchang Hassan-Yari. Déjà, les enfants de l'ayatollah Rafsanjani se sont fait interdire de quitter l'Iran.

«La grande inconnue, actuellement, c'est la réaction de l'establishment religieux, dit M. Hassan-Yari. Si la situation se corse, y aura-t-il des dissidences?»

C'est également ce que se demande Mark LeVine, spécialiste de l'histoire moderne du Moyen-Orient à l'Université California Irvine.

Ce dernier constate que les manifestants deviennent de plus en plus audacieux. Et que plusieurs remettent en question tout le système politique iranien.

Selon M. LeVine, la république islamique repose sur une sorte d'entente tacite entre le pouvoir et le peuple: «Tant que vous n'envahissez pas la rue, nous vous laissons faire ce que vous voulez derrière les portes de vos maisons», disent les dirigeants.

C'est cette entente qui est en train de craquer. Si la pression monte, les leaders religieux pourraient décider de «sacrifier Ahmadinejad pour sauver le système», pense-t-il.

Il rappelle que Mir Hossein Moussavi est un réformateur modéré, pas un révolutionnaire. Et que le pouvoir religieux pourrait décider de lui céder la présidence pour éviter un bain de sang.

Encadré(s) :

«Empêchez la violence», demande Shirin Ebadi

Gruda, Agnès

L'avocate iranienne Shirin Ebadi, prix Nobel de la Paix, appelle la communauté internationale à tout faire pour empêcher que les manifestations en Iran ne soient réprimées dans la violence.

«J'attends de la communauté internationale qu'elle empêche la poursuite de la violence de la part du gouvernement. J'attends qu'elle empêche de tirer sur le peuple», a dit Mme Ebadi dans une entrevue avec l'Agence France-Presse.

Jeudi, dans un texte paru sur le site Huffington Post, elle a réclamé l'annulation du scrutin du 12 juin et la tenue d'une nouvelle élection.

Selon elle, le nombre de participants à une nouvelle manifestation prévue aujourd'hui «sera le reflet de ce que pense le peuple de ce qu'a dit M. Khamenei».