L'Iran demeurait coupé en deux hier. Dans les rues de Téhéran, les partisans du candidat déçu à la présidentielle, Mir Hossein Moussavi, ont continué à manifester leur colère. Ceux du vainqueur, l'ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad, ont pour leur part participé à une marche dite «d'unification». Face à la grogne qui ne se dément pas, le Guide suprême de la révolution en Iran, l'ayatollah Ali Khamenei, a de nouveau jeté du lest.

Il s'est dit favorable à un nouveau dépouillement partiel des voix si la mesure s'avérait nécessaire. C'est pourtant cet ayatollah, accuse l'ancien président iranien Abolhassan Banisadr, questionné par La Presse - qui est à montrer du doigt pour le dérapage actuel.Premier président de la République islamique d'Iran, Abolhassan Banisadr est convaincu que les élections du 12 juin, dans son pays d'origine, ont été frauduleuses, mais il refuse de faire porter le fardeau à Mahmoud Ahmadinejad. Selon le politicien iranien, il faut plutôt regarder du côté du Guide suprême de la révolution, l'ayatollah Ali Khamenei.

Joint à Paris par La Presse hier, l'ancien chef du gouvernement iranien n'hésite pas une seconde avant d'accuser le leader politique et religieux de la théocratie iranienne. «L'ayatollah Khamenei a organisé directement cette fraude», a dit à La Presse l'ex-politicien iranien qui vit en exil depuis 1981.

Selon Abolhassan Banisadr, l'implication de l'ayatollah dans le scrutin controversé qui a permis au président sortant d'être réélu avec 63% des voix est indéniable. «Il n'a même pas attendu que les vérifications en règle soient terminées avant de féliciter Mahmoud Ahmadinejad. Il a instantanément demandé aux trois candidats malheureux de baisser les bras. Depuis, il intervient tous les jours pour calmer le jeu», avance M. Banisadr.

Ayant lui-même occupé la présidence iranienne avant de se faire virer par l'ayatollah Khomeiny - le prédécesseur de l'ayatollah Khamenei -, M. Banisadr rappelle que les pouvoirs du président sont excessivement limités à l'intérieur de la Constitution actuelle de la République islamique.

Le Guide suprême a notamment le contrôle des Gardiens de la révolution (pasdaran) et des milices volontaires bassiji, tous deux impliqués dans la répression des manifestants au cours des derniers jours.

L'ayatollah a aussi un droit de veto sur toutes les décisions du gouvernement et la responsabilité de nommer les membres du Conseil des gardiens de la Constitution. C'est d'ailleurs à ce comité composé de religieux qui lui sont fidèles que l'ayatollah Khamenei a confié le mandat d'enquêter sur les allégations de fraude.

«L'erreur que font beaucoup d'observateurs et de journalistes est de penser que le président est responsable de tout, au lieu de se demander qui incarne le véritable pouvoir en Iran», ajoute l'ex-président.

La succession

Les motivations du leader religieux sont simples, selon lui. En remettant Ahmadinejad au pouvoir, le Guide suprême n'a pas à composer avec un président réformiste qui voudrait donner un nouveau tournant à la politique iranienne. Il a aussi les coudées franches pour préparer sa succession. «C'est un homme excessivement intelligent. Au cours des ans, il a réussi à écarter ses rivaux les plus sérieux», continue-t-il.

Abolhassan Banisadr croit cependant que le Guide suprême commet un faux pas en ne prêtant pas assez attention à la grogne populaire qui s'exprime depuis dimanche par des manifestations monstres. «Les Iraniens réalisent que même s'ils votent pour un des quatre hommes qui a été choisi par le régime islamique, leur voix n'est pas respectée. Pour une des premières fois en 30 ans, les électeurs iraniens remettent en cause la légitimité même du régime islamique», estime M. Banisadr.

Interdit de territoire en Iran depuis qu'il a tenu tête à l'ayatollah Khomeiny, notamment sur la question des droits de la personne, Abolhassan Banisadr doit aujourd'hui se contenter de regarder les manifestations iraniennes à la télévision. Les images qu'il voit au petit écran le ramènent 30 ans en arrière. Il dit discerner dans les protestataires une ferveur comparable à celle qui a animé la révolution de 1979.

Lors des premières élections présidentielles qui ont suivi la chute du régime du chah d'Iran, Abolhassan Banisadr a reçu 79% des voix. Il a été à la tête du gouvernement pendant seulement un an et demi. Depuis, il s'oppose au régime des ayatollahs.

Obama se prononce

Le président américain Barack Obama a estimé hier que la différence politique entre le président iranien Mahmoud Ahmadinejad et son opposant malheureux à la présidentielle, Mir Hossein Moussavi, n'était pas aussi grande qu'il n'y paraît.

«Je pense qu'il est important de comprendre que la différence en termes de politique réelle entre MM. Ahmadinejad et Moussavi n'est peut-être pas aussi grande qu'on l'a dit», a déclaré M. Obama lors d'un entretien accordé à la chaîne de télévision CNBC. Quel que soit le résultat du dépouillement des votes demandé par M. Moussavi, «nous allons avoir à traiter en Iran avec un régime qui est hostile aux États-Unis», a ajouté le président américain.