Si l'on veut se faire plaisir et tirer sur sa cigarette sans pour autant être rongé par la culpabilité, c'est au Liban qu'il faut aller, paradis des fumeurs où l'on peut travailler, dîner et se faire coiffer dans un nuage de fumée.

Le lobby anti-tabac peine à se faire entendre, le gouvernement se préoccupe très peu de la question et les Havanes cubains sont très bon marché. À un dollar le prix moyen du paquet, le coût des cigarettes est également très bas tandis que les avertissements contre leurs effets nocifs sont à peine visibles.

«Dès qu'on atterrit dans ce pays, on commence à s'essoufler», souligne le chef du département de pathologie à l'Université américaine de Beyrouth, le docteur Ghazi Zaatari, qui dirige un groupe de travail de l'Organisation mondiale de la santé sur la règlementation anti-tabac. «Du point de vue du tabac, le Liban est un désastre pour la santé».

George Saadé, cardiologue et chef de l'unité de lutte anti-tabac au ministère de la Santé, accuse lui «le gouvernement libanais de ne rien faire pour contrôler le tabagisme». Le budget annuel de l'unité n'est que de 20 000 dollars, déplore-t-il.

«Les sociétés de tabac sont très puissantes dans ce pays et participent à diverses activités, ce qui serait considéré ailleurs comme un conflit d'intérêt», poursuit-il. «Elles sponsorisent des concerts, des programmes télévisés et des événements sportifs, où des cigarettes sont parfois distribuées gratuitement».

Emile Moukarzel, directeur local de Philip Morris, le plus grand importateur de cigarettes au Liban, rejette ces accusations: «Nous ciblons uniquement les fumeurs adultes et nous sommes très stricts là-dessus».

«Nous faisons de notre mieux pour empêcher les mineurs de fumer, non seulement en raison des effets nocifs de notre produit mais aussi pour des raisons commerciales», dit-il.

Selon les professionnels de santé, le nombre de fumeurs est parmi les plus élevés de la région et les cancers liés au tabagisme augmentent à un rythme rapide, avec 3 500 décès par an en moyenne. Au Liban, 42% des hommes et 30% des femmes sont fumeurs, sur une population totale de 4,5 millions d'habitants.

«Au cours des cinq dernières années, les maladies cardio-vasculaires ont augmenté de 17% alors qu'aux États-Unis elles ont diminué de 17% pendant la même période», remarque le docteur Saadé.

Paradoxalement, les distributeurs locaux de cigarettes distribuent également les médicaments anti-cancer.

Les experts s'inquiètent également de la vogue du narguilé, dont les consommateurs pensent à tort qu'il est moins nocif que la cigarette.

«Chaque jour, nous apprenons du nouveau concernant les effets du narguilé, qui se propage surtout parmi les jeunes», affirme Rima Nakkache, professeur à l'Université américaine de Beyrouth.

D'après une enquête réalisée en 2005 par l'OMS, 60% des jeunes de 13 à 15 ans fument des cigarettes, le narguilé ou des cigares, le taux le plus élevé de la région.

 «L'industrie du tabac sait que le Moyen-Orient est l'une des régions du monde où la réglementation anti-tabac est la moins stricte», relève le Dr Ghazi Zaatari. «Elle utilise parfois des pays comme le Liban comme dépotoir pour des produits qu'elle ne réussit pas à vendre ailleurs», souligne-t-il.

Le Liban a signé la Convention-cadre de l'OMS pour la lutte anti-tabac en 2005 mais n'a pas ratifié le document ni cherché à l'appliquer, explique-t-il.

«Au Liban, on a 20 ou 30 ans de retard dans la lutte anti-tabac», résume Mme Naccache. «Mais nous pouvons apprendre de l'expérience d'autres pays, de leurs échecs et leurs succès»