Nojoud Ali a la fragilité apparente d'une poupée de faïence. Mais elle peut faire bouger les montagnes.

Pour échapper à un mari trois fois plus vieux qui l'agressait sexuellement et la battait, la Yéménite de 10 ans s'est réfugiée en avril dans un tribunal de la capitale, Sanaa, où, contre toute attente, elle a obtenu le divorce. Improbable dénouement dans un pays profondément machiste où les mariages arrangés de fillettes, même prépubères, sont légion.

«Si elle a réussi à s'en sortir, je pense que c'est surtout à cause de son caractère. Elle est de nature entêtée, elle sait dire non et refuse de se soumettre à ce qu'on lui impose», résume Delphine Minoui, une journaliste du Figaro qui prête sa plume à l'enfant pour raconter son expérience dans un nouveau livre, Moi Nojoud, 10 ans, divorcée.

 

Né dans un minuscule village du nord du Yémen, où les chefs tribaux conservent une forte influence, la petite fille vit dans la pauvreté, sans eau courante, sans électricité. Son père, un éleveur, fournit tant bien que mal la pitance quotidienne aux 16 enfants qu'il a eu de ses deux femmes. Seuls les garçons vont à l'école, à deux heures de marche.

Les choses sont relativement sereines jusqu'à ce qu'une soeur plus vieille, Mona, soit violée. À 13 ans, elle est mariée de force à son agresseur pour «sauver l'honneur». La famille, éconduite, part s'installer en banlieue de Sanaa, dans un taudis.

Le travail est rare et le père déprime. Les enfants sont forcés de mendier. Seule consolation pour Nojoud Ali: elle va à l'école. Ça ne durera pas.

Mariée à un «monstre»

En février 2008, les parents de la fillette lui annoncent qu'elle va être mariée à un livreur qu'elle n'a jamais vu, qui est originaire de sa région. Contre une dot d'environ 1000 dollars.

La cérémonie terminée, elle se voit remettre un niqab, voile islamique cachant tout du visage sauf les yeux. Elle devra désormais le porter en public pour protéger l'honneur de son mari, explique sa mère.

La nuit de son retour dans son village d'origine, loin de Sanaa, elle est contrainte d'avoir une relation sexuelle avec son mari. Sa belle-mère et sa soeur la complimentent au matin, voyant les traces de sang sur la natte où elle dort.

Le scénario se répète durant des semaines. Le «monstre», irrité par ses protestations, la bat, d'abord avec les poings, bientôt avec un bâton.

À force d'insister pour revoir sa famille, elle finit par le convaincre d'aller en visite à Sanaa. Malgré son témoignage horrifié, ses parents lui disent qu'elle doit demeurer auprès de son époux. L'honneur familial, encore et toujours, est en jeu.

Lors d'un second séjour dans la capitale, elle demande conseil à la seconde femme de son mari, qui lui suggère sans trop y croire de se rendre au tribunal. Elle prend l'argent destiné au pain du jour, s'engouffre dans un autobus puis un taxi qui la dépose au bon endroit.

Un juge, interloqué par la présence d'un enfant isolé, apprend avec stupéfaction qu'elle veut un divorce, qu'elle a été mariée contre son gré, abusée, battue. Il promet de l'aider et lui fournit un logement pour échapper à la colère de sa famille.

Il fait arrêter du même coup le père et le mari, qui seront finalement acquittés. Mais pas avant que la fillette ait obtenu le divorce rêvé, avec l'aide d'une avocate yéménite engagée qui donne un large écho à sa mésaventure.

Premières boules de neige

Du jour au lendemain, son histoire fait le tour du monde. Encore aujourd'hui, un flot régulier de journalistes étrangers se succède à la modeste résidence familiale pour l'interviewer, ce qui ne plaît pas à tout le monde.

La famille de l'ex-mari et des membres de sa propre famille élargie pourraient, au dire de Mme Minoui, chercher noise à la jeune divorcée. Le père, toujours sans emploi, tente pour sa part de tirer profit de la notoriété de l'enfant en monnayant les entrevues.

Nojoud Ali continue, malgré tout, de savourer la nouvelle vie qui lui est offerte, ponctuée d'intermèdes exotiques. De passage récemment à Paris pour faire connaître sa vie et le livre qui la résume, elle s'est réjouie d'avoir pu lancer ses premières boules de neige. Et d'avoir vu la tour Eiffel.

La jeune divorcée répète à qui veut l'entendre qu'elle sera avocate et qu'elle aidera, à son tour, les gens dans le besoin.

En attendant d'obtenir son diplôme, elle garde un oeil attentif, du haut de ses 10 ans, sur sa jeune soeur Haïfa. «Si quelqu'un ose venir la demander en mariage, je m'y opposerai immédiatement. Je dirai: «Non, c'est interdit» «, prévient-elle.

Gare à ceux qui n'entendraient pas le message.