Le débat sur le rôle de l'OTAN dans la lutte contre le trafic de drogue en Afghanistan a rebondi jeudi avec la divulgation par le site internet du magazine allemand Der Spiegel d'une lettre de son commandant en chef appelant à éliminer les narcotrafiquants.

L'OTAN a confirmé l'existence mais pas le contenu de cette lettre d'«orientation» du général américain John Craddock révélée par le site SpiegelOnline.

La lettre en question, selon le SpiegelOnline, ordonne de traquer désormais «tous les trafiquants de drogue et leurs installations» et autorise à recourir aux moyens les plus extrêmes, donc à les tuer.

«Il n'est plus nécessaire (...) de prouver que chaque trafiquant ou installation de drogue en Afghanistan remplit les critères d'un objectif militaire», autrement dit qu'ils ont des liens avec les talibans insurgés contre le gouvernement de Kaboul, écrit le général Craddock, toujours cité par le SpiegelOnline.

La directive a été adressée le 5 janvier aux deux généraux qui dirigent la force internationale dirigée par l'OTAN en Afghanistan (Isaf), l'Allemand Egon Ramms, basé au QG régional de l'OTAN à Brunssum, aux Pays-Bas, et l'Américain David McKiernan, qui commande sur le terrain.

Mais les deux généraux ont refusé de suivre la consigne, l'estimant contraire au droit international et aux règles en vigueur au sein de l'Isaf, qui agit sur mandat de l'ONU, écrit le SpiegelOnline.

Le général Craddock serait du coup «très en colère», en particulier contre l'Allemand Ramms et contre l'Allemagne, accusée de faire obstruction à toute politique «agressive» à l'égard des trafiquants.

Dans sa lettre, il rappelle que les pays de l'OTAN se sont mis d'accord en octobre pour s'attaquer en Afghanistan au trafic d'héroïne qui finance les talibans. L'OTAN a «reconnu un rapport clair entre le trafic de drogue et l'insurrection», écrit-il.

L'Afghanistan est à l'origine de 90% de la production mondiale d'opium, servant à la fabrication de l'héroïne écoulée en Europe et en Asie centrale et finançant largement les activités hostiles des talibans.

Les pays qui ont des soldats dans le sud afghan, là où coïncident trafic d'opium et activités des talibans, comme les États-Unis et la Grande-Bretagne, souhaitent frapper les insurgés au portefeuille.

D'autres comme l'Allemagne, l'Espagne, la France, la Grèce ou la Roumanie craignent que l'Isaf ne commette des bavures inutiles.

Le porte-parole du général Craddock a assuré qu'«aucun ordre n'a été donné» et que la réflexion suivait son cours. Mais l'affaire aurait suscité «de nombreux coups de fils» entre Bruxelles, Washington et Kaboul, selon le SpiegelOnline.

Furieux de cette fuite «inacceptable» de documents «confidentiels» de l'OTAN, le secrétaire général de l'OTAN, Jaap de Hoop Scheffer, «a demandé l'ouverture immédiate d'une enquête», a indiqué son porte-parole James Appathurai.

Le ministère allemand de la Défense s'est refusé jeudi à tout jugement sur la position du général américain - réputé fidèle à George W. Bush et sur un siège éjectable depuis l'arrivée de Barack Obama à la Maison-Blanche, selon le SpiegelOnline.

Plusieurs partis allemands ont protesté contre le général Craddock, les Verts au Parlement européen réclamant même son limogeage.

Interrogé par le SpiegelOnline, le ministre afghan des Affaires étrangères Rangin Dadfar Spanta a salué le fait que l'OTAN veuille aider à combattre les trafiquants de drogue, mais il a estimé qu'il fallait «des preuves» d'un lien avec les terroristes pour que l'Isaf intervienne.

«Si aucun but politique n'est poursuivi par un narcotrafiquant, alors c'est un criminel qui relève de la police», a-t-il tranché, position proche de celle de l'Allemagne.