Les images des chaussures lancées par un journaliste irakien vers George W. Bush, dimanche à Bagdad, ont continué hier de faire le tour du monde, tandis que des Irakiens descendaient dans les rues pour saluer le lanceur comme un héros national.

Montazer al-Zaïdi, 29 ans, de la chaîne de télévision Al-Baghdadiya, a été écroué sous l'accusation d'avoir commis un «acte barbare» contre... l'État irakien - le premier ministre Nouri al-Maliki ayant été aux côtés de Bush lors de l'incident.

 

Selon l'avocat irakien Tarek Harb, il risque «deux ans de prison» s'il est poursuivi pour «insulte à un chef d'État étranger en visite en Irak».

Les patrons d'Al-Zaïdi, dont le réseau émet depuis Le Caire, ont parlé d'un «acte isolé», mais ont dit qu'ils présenteraient des excuses à Maliki. Ils ont demandé la libération du journaliste au nom des... droits démocratiques dont s'enorgueillit le «nouvel Irak».

À Najaf, des partisans de Moqtada Sadr ont lancé des chaussures sur un convoi militaire américain. À Tikrit, des journalistes ont marché en soutien à Al-Zaïdi. Des manifs ont eu lieu dans d'autres villes, dont Bassora et Fallouja, aux cris de: «Félicitations pour la chaussure!»

Acte de résistance

Me Khalil Doulaïmi, ancien avocat de Saddam Hussein, a offert de prendre la défense du journaliste, indiquant que 200 confrères, irakiens et étrangers, ont proposé leurs services gratuitement.

«Notre défense sera fondée sur le fait que les États-Unis occupent l'Irak et que la résistance est légitime, par tous les moyens, y compris jeter des chaussures», a fait valoir Me Doulaïmi.

Dans le quartier chiite de Sadr City, Maitham al-Zaïdi, 28 ans, s'est dit «très fier» de son frère, «comme le sont tous les Irakiens». Le geste n'était pas prémédité, a-t-il dit, mais «provoqué» quand Bush, à sa conférence de presse, a déclaré que l'accord de retrait signé avec Maliki était «son cadeau d'adieu à l'Irak».

Montazer a alors lancé son premier soulier, en criant: «Ça, c'est le baiser d'adieu de l'Irak, espèce de chien», avant de lancer l'autre soulier. Bush a esquivé les deux projectiles, mais l'incident symbolise désormais son aventure irakienne de par le monde.

Le secrétariat d'État américain a déploré hier que le lanceur de chaussures n'ait pas cherché à «reconnaître le travail positif des États-Unis en Irak».

Un collègue de Montazer à Al-Baghdadiya a confié que le journaliste rêvait d'accueillir Bush avec des chaussures, insulte suprême dans le monde arabe, et dans toute l'Asie même.

Mariage annulé

Ancien président du syndicat des étudiants et mécanicien diplômé, Montazer al-Zaïdi a connu des personnes tuées dans la guerre qui fait rage depuis près de six ans en Irak. Il avait été enlevé et torturé l'an dernier par des inconnus.

Selon son frère Maitham, il signait ses topos à partir de «Bagdad occupé». Il a même annulé ses noces, disant qu'il se marierait «après la fin de l'occupation».

Le geste d'Al-Zaïdi a aussi trouvé une grande résonance dans le monde arabe. Le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) a réclamé sa libération, estimant que «son acte de colère exprimait le rejet de l'occupation américaine».

À Beyrouth, le Hezbollah libanais l'a décrit comme un «héros». Le lancer de souliers «est un baiser d'adieu au nom des veuves, des orphelins et des personnes que vous avez tuées en Irak, un baiser courageux qui mérite d'être salué», a-t-il dit à l'adresse de Bush.

Le journal jordanien Al-Ghad a estimé en éditorial que «lancer des chaussures sur Bush symbolise à quel point les Irakiens et les Arabes détestent» le président américain.

 

Poursuites contre Rumsfeld

«La société des victimes de l'occupation en Irak», un groupe irakien de défense des droits de l'homme, a affirmé hier avoir lancé 200 poursuites en justice aux États-Unis contre l'ancien secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, et des firmes de sécurité américaines, pour leur rôle présumé dans la torture d'Irakiens.

Ali Qaissi, chef du groupe basé en Jordanie, a indiqué que ces plaintes avaient été déposées devant des cours fédérales en Virginie, au Michigan et au Maryland.

«Environ 30 actions en justice ont déjà été acceptées», a-t-il déclaré, les autres étant toujours à l'étude. «La torture faisait partie du système. Les responsables devront être punis et les victimes dédommagées», selon lui.