Une vieille blague dit que les vrais problèmes d'Israël commenceront quand le pays aura fait la paix avec les Palestiniens... et qu'il devra faire la paix entre les Juifs. Mais pour ceux qui s'inquiètent de voir une société de plus en plus fragmentée - entre riches et pauvres, ashkénazes et séfarades, laïcs et ultra-orthodoxes - ça n'a absolument rien d'une blague. Voici le second volet de notre dossier sur l'enjeu démographique israélien.

Un samedi à Jérusalem. Le silence est pesant, presque assourdissant. Les commerces et les restaurants sont fermés. Il n'y a pas âme qui vive dans les rues, à part une armée de chats maigres et quelques touristes un peu perdus.

Le sabbat est pris au sérieux à Jérusalem. De plus en plus. Les Israéliens laïques s'inquiètent de la «conquête» de la ville sainte, quartier par quartier, par les juifs ultra-orthodoxes. Des entreprises cèdent leur place à des écoles talmudiques. Et Jérusalem est devenue la ville la plus pauvre du pays.

Les trois quarts des hommes ultra-orthodoxes sont sans emploi. Par choix, ou parce qu'ils ont passé des années dans des écoles religieuses et n'ont pas de formation adéquate pour intégrer le marché du travail.

Malgré tout, ils ont de nombreux enfants: une dizaine par famille. Leur population augmente donc très rapidement, comme celle des arabes israéliens, eux aussi très touchés par le chômage et la pauvreté.

À ce rythme, Israël sera en faillite d'ici 20 ans, prévient l'économiste Dan Ben-David, de l'Université de Tel-Aviv. «Les Palestiniens ne m'inquiètent pas. Je pense que le bon sens finira par l'emporter et que nous aurons deux pays pour deux peuples. Ils ne posent pas un problème existentiel. Ce qui en pose, c'est le tissu social d'Israël.»

Pourtant, l'économie se porte bien: la croissance est l'une des plus élevées au monde, les investissements étrangers affluent malgré les conflits régionaux et le boom des high-tech a créé son lot de millionnaires.

En même temps, les Israéliens s'étonnent de voir apparaître des mendiants dans les rues. L'égalitarisme n'est plus qu'un souvenir; le fossé se creuse entre les riches et les pauvres.

«Vous avez un Israël leader mondial dans plusieurs domaines, et un autre Israël, toujours plus gros, qui traîne derrière, dit M. Ben-David. Un nombre croissant de familles sont dépendantes du système pour garder le nez au-dessus du seuil de pauvreté. C'est un fardeau économique de plus en plus lourd.»

Un tableau apparaît sur l'écran d'ordinateur de l'économiste. Il désigne la courbe croissante. «En 1960, 15% des enfants israéliens étudiaient dans des écoles arabes ou ultra-orthodoxes. En 2006, c'était 46%. Dans quatre ans, ce sera la moitié. Quand ces enfants seront devenus adultes, si on ne change rien, nous sommes morts. Une minorité de travailleurs ne pourra soutenir une majorité sans emploi.»

Selon lui, le gouvernement n'a pas le choix: il doit inciter les juifs ultra-orthodoxes à intégrer le marché du travail, quitte à réduire les allocations d'aide sociale. «C'est inconcevable de permettre à la majorité d'un groupe de choisir le non-emploi comme mode de vie.»

Il est grand temps d'agir, dit-il. La fuite des cerveaux est déjà commencée. «Les meilleurs peuvent travailler partout dans le monde. Plus grand sera le fossé entre Israël et les pays développés, plus les gens seront enclins à partir.»

M. Ben-David, lui, n'a pas l'intention de s'exiler. Son nom lui vient de son grand-père, David, tué par les nazis. «Après s'être réfugié ici, mon père a changé son nom pour Ben-David, qui signifie fils de David. C'était un pied de nez aux nazis, une façon de leur dire: vous n'avez pas fini le travail, il y a ici une génération qui continue.»

Sa mère vient d'Irak. À 13 ans, elle a marché jusqu'en Israël avec sa famille pour échapper à la persécution. «Israël a sauvé mes parents. Je lui dois la vie. Comment pourrais-je partir?»