(BRUXELLES) Faut-il isoler la population pour la soustraire à la contamination ou, au contraire, l’exposer pour qu’elle acquière l’immunité ? En Europe, la Suède et les Pays-Bas sont désormais les deux seuls pays à avoir choisi cette dernière option… mais pour combien de temps ?

Il a fait beau, dimanche, sur le nord de l’Europe. Aux Pays-Bas, des milliers de personnes en ont profité pour aller se balader sur la plage de Zandvoort ou contempler les arbres en fleur des jardins japonais d’Amsterdam.

Difficile de croire, devant ces multiples rassemblements, que le pays est touché par l’épidémie de coronavirus qui ravage actuellement l’Europe.

Et pourtant.

Au moment d’écrire ces lignes, les Pays-Bas comptaient près de 5000 cas de contamination et 215 morts, avec une courbe en augmentation constante. Les mesures adoptées pour freiner la contamination de la COVID-19 y sont toutefois beaucoup moins draconiennes qu’en France, en Espagne ou en Italie, où l’on impose désormais un confinement complet à la population.

Depuis le virage à 180 degrés de Boris Johnson au Royaume-Uni, les Pays-Bas sont devenus le dernier pays d’Europe de l’Ouest, avec la Suède, à adopter la stratégie de l’immunité de groupe. Cette approche consiste à laisser la population s’exposer au virus, pour qu’elle acquière les anticorps nécessaires et s’immunise d’elle-même, les personnes infectées étant en quelque sorte « autovaccinées ».

Un certain nombre de mesures ont certes été adoptées pour freiner la propagation du coronavirus. Les bars, les coffee shops, les restaurants, les cinémas, les salles de sport, les écoles et les bordels ont été obligés de fermer leurs portes.

Mais lundi, le gouvernement néerlandais a finalement décidé de donner un autre tour de vis. Tous les événements et les rassemblements, même de moins de 100 personnes, sont interdits jusqu’au 1er juin, a annoncé le ministre néerlandais de la Justice, Ferd Grapperhaus. Les magasins et les services de transport public doivent également prendre des mesures supplémentaires pour que les usagers et clients respectent une distance de 1,5 mètre, sous peine d’amende.

Le premier ministre Mark Rutte a averti qu’un confinement total de la population serait la prochaine étape dans la lutte contre la propagation du virus, si les mesures actuellement mises en place ne suffisaient pas. « J’espère que ce ne sera pas nécessaire », a-t-il dit.

Des habitudes difficiles à changer

Jusqu’à hier, les rassemblements étaient encore autorisés et les magasins qui le souhaitaient pouvaient rester ouverts, même s’ils ne proposent pas de services considérés comme essentiels.

Résultat : un grand nombre de Néerlandais n’ont rien changé à leurs habitudes.

« Pendant toute la fin de semaine, il y avait un monde fou dans les quincailleries et les marchés en plein air, c’est complètement hors de contrôle », résume Alban Karsten, un artiste résidant à Amsterdam, évoquant une situation « étrange et problématique ».

Selon Alban Karsten, les Néerlandais sont des gens qui tiennent farouchement à leurs libertés individuelles. Mais la population « sous-estime », d’après lui, la gravité du problème. Et ne se soumettra « malheureusement » que si le gouvernement emploie la manière forte, comme c’est le cas en France et en Italie, où la police verbalise désormais les contrevenants.

« Double message »

Jointe dans un village près d’Arnhem, dans l’est du pays, Ernestine Köhne-Hoegen parle pour sa part de « confusion », tant les directives semblent floues.

« On a l’impression d’un double message, souligne l’écrivaine, mère de deux ados. D’un côté, on ferme les bars, de l’autre, on nous laisse sortir en groupe sans problème. Nous sommes plusieurs à ne pas savoir quoi penser. »

Selon Ernestine, ce discutable « entre-deux » serait typique des Pays-Bas.

Nous aimons évaluer tous les angles pour trouver le meilleur compromis possible. Je crois que c’est ce que le gouvernement essaie de faire en ce moment. Mais au fond de nous, on sait que la fermeture du pays est inévitable.

Ernestine Köhne-Hoegen, résidante des Pays-Bas

Et la Suède ?

Tout comme le premier ministre néerlandais Mark Rutte, son homologue suédois Stefan Löfsven, qui avait aussi opté pour la stratégie de l’immunité de groupe, n’a pas écarté la possibilité de faire marche arrière.

Dans un discours de six minutes à la nation, M. Löfsven a prévenu que des décisions ayant « un impact sur la vie quotidienne » pourraient être prises sous peu, sans toutefois rien annoncer de concret.

PHOTO REUTERS

Des personnes réunies lundi dans un bar de Stockholm, en Suède, où le confinement n’est pas imposé.

Le pays d’IKEA enregistre pour le moment 1900 cas d’infection et 21 morts. Les écoles et les universités ont été fermées et les rassemblements de plus de 500 personnes, interdits. En revanche, les magasins sont toujours ouverts, et le confinement n’est pas imposé.

Questions éthiques

L’immunité de groupe (herd immunity) est loin de faire l’unanimité. Plusieurs experts ont remis en question ce pari risqué, voire irresponsable. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a notamment déclaré qu’on ne connaissait pas assez la COVID-19 pour présumer des effets de cette stratégie.

D’autres ont comparé cette approche controversée à une forme de « néolibéralisme épidémiologique ».

L’immunité collective a certes ses vertus, puisqu’elle limite les impacts sociaux et économiques d’une épidémie. Mais en préconisant cette stratégie, qui implique le sacrifice des plus vulnérables, « on préfère protéger l’argent que les gens », déplorait jeudi le Dr Thierry Wouters dans les pages de La Libre Belgique.

Celui-ci souligne en outre que si l’épidémie de coronavirus n’est pas suivie par d’autres épidémies du même virus, « on aura sacrifié des vies pour rien ».

L’avenir dira si cette option était la bonne.