L'accord entre Athènes et Skopje pour rebaptiser en Macédoine du Nord l'ex-République yougoslave semait mercredi la division des deux côtés de la frontière, où les passions restent à fleur de peau, pesant sur l'issue finale du règlement.

Le compromis a été salué mardi par les deux premier ministres, le Grec Alexis Tsipras et le Macédonien Zoran Zaev comme un «accord historique». Levant le verrou grec à un ancrage macédonien dans l'UE et l'OTAN, il a suscité une foison de félicitations européennes, de l'OTAN et de l'ONU.

Mais dans les deux capitales, l'humeur n'était pas au diapason.

Le président macédonien proche de la droite nationaliste, Gjorge Ivanov, a cédé mercredi à la colère. Selon un communiqué du gouvernement macédonien, il a claqué la porte d'une réunion avec M. Zaev censé l'informer «des bénéfices de l'accord».

Il avait réaffirmé plus tôt son rejet de la révision constitutionnelle imposée par Athènes à Skopje pour que le changement de nom de l'actuelle Ex-République yougoslave de Macédoine (ARYM) s'applique aussi en interne.

Les deux pays se disputent depuis 27 ans le nom de Macédoine: les Grecs considérant que son usage par les voisins implique des visées territoriales sur leur province du nord homonyme, et une usurpation de leur histoire antique, les Macédoniens campant sur leur droit à garder une appellation datant de la formation en 1944 de leur République au sein de la Yougoslavie.

«Nous sommes allés trop loin» dans les concessions, jugeait la Macédonienne Suzana Turundzieva, une vendeuse de 46 ans. «C'est une entourloupe pour faire des Balkans un protectorat de l'OTAN», pestait le serveur grec Vassilis, 20 ans.

«Capitulation»

«Dans les deux pays, il y aura de fortes tensions» prédit Ioannis Armakolas, professeur au département Balkans de l'université de Thessalonique.

Il y voit une conséquence de l'absence de pédagogie politique pour «former au compromis» les opinions publiques, poussées au contraire depuis des décennies sur «des positions unilatérales, patriotiques voire nationalistes».

Le chef de l'opposition macédonienne du VMRO-DPMNE de droite nationaliste, Hristijan Mickoski, a lui fustigé dans une conférence de presse une «défaite absolue».

«C'est une trahison des attentes des citoyens», une «capitulation», a-t-il ajouté, alors que l'accord doit passer le cap d'un référendum cet automne, et d'un vote au Parlement, à majorité qualifiée, sur la révision constitutionnelle.

Le résultat est loin d'être acquis, selon M. Armakolas, qui juge que «les Grecs ont beaucoup gagné» dans la négociation, même si en échange, Skopje «a enregistré le gain très important d'un ancrage euro-atlantique».

La droite en embuscade

Coté grec, l'horizon est dans l'immédiat plus dégagé, la saisie du Parlement, à la majorité simple, n'étant prévue qu'une fois remplies les conditions posées aux voisins.

L'accord bénéficie aussi du soutien d'une partie de l'opposition de centre-gauche, pour son potentiel de stabilisation. «La Grèce en a besoin face à la Turquie», relève la politologue Vassiliki Georgiadou.

Mais là aussi, la droite est en embuscade: le chef du parti conservateur de la Nouvelle Démocratie (ND), Kyriakos Mitsotakis, a dénoncé mardi un «mauvais accord».

Pour la ND, qui distance largement la gauche de M. Tsipras dans les sondages, le «recul national non acceptable» réside dans «l'acceptation d'une langue et nationalité macédoniennes», forgées chez les voisins depuis un demi-siècle.

Les conservateurs avancent les divisions gouvernementales pour dénier à M. Tsipras la «légitimité d'engager le pays», alors que l'allié souverainiste de M. Tsipras, Panos Kammenos, a réaffirmé mardi son opposition au compromis.

«Le risque» serait que M. Mitsotakis aille jusqu'à la motion de censure, juge M. Armakolas.

«C'est une défaite nationale», tranchait dans l'expectative le préfet conservateur Apostolos Tzitzikostas, parmi les responsables de la province grecque de Macédoine.

La région a été le foyer de la bronca grecque déclenchée à l'indépendance, en 1991, du pays voisin, qui n'a finalement été accepté en 1993 que sous un nom provisoire.

Des dizaines de milliers de personnes y ont encore manifesté pour défendre la «grécité» de la Macédoine en février et début juin, face à d'autres rassemblements aux revendications diamétralement opposées de l'autre côté de la frontière.