La crise des migrants qui traversent la Méditerranée semble être en voie de se transformer en véritable querelle diplomatique entre la France et l'Italie.

L'Italie a monté le ton mercredi en mettant Paris au défi d'accueillir plus de demandeurs d'asile et en exigeant des excuses après que le président français eut accusé le nouveau gouvernement populiste italien de cynisme et d'irresponsabilité en refusant d'accueillir un navire qui avait 629 migrants à son bord.

L'Italie a convoqué l'ambassadeur de France pour des consultations. Au terme de cette rencontre, le ministre italien des Affaires étrangères, Enzo Moavero Milanesi, a indiqué par voie de communiqué que les critiques publiques de la France sont «inacceptables» et qu'elles menacent les relations diplomatiques entre les deux pays.

M. Milanesi a dit que la France aurait pu exprimer ses préoccupations en privé. Le président français Emmanuel Macron doit rencontrer le nouveau premier ministre italien Giuseppe Conte vendredi, à Paris. Le ministre italien des Finances, Giovanni Tria, a en revanche annulé une rencontre prévue avec son homologue français Bruno Le Maire.

Le ministre de l'Intérieur, Matteo Salvini, a cité le président Macron lors d'un discours devant la chambre haute du Parlement. M. Salvini a indiqué que la France n'avait accueilli qu'une fraction des 9816 migrants qu'elle s'était engagée à accueillir dans le cadre d'un plan de relocalisation de l'UE en 2015 pour décharger les pays de première ligne comme l'Italie et la Grèce.

M. Salvini a demandé «au président Macron de passer des paroles à l'action» en acceptant les 9000 personnes que son pays s'est engagé à accueillir, «en signe de générosité concrète et pas seulement de paroles».

Il a ensuite ajouté qu'il «parle au nom d'un gouvernement», mais aussi d'un «peuple qui n'a rien à apprendre de la générosité, du volontariat, de l'accueil et de la solidarité».

L'Autriche et l'Allemagne ont offert leur aide à l'Italie face à cette situation. L'agence onusienne des réfugiés a dit qu'il est «honteux» de voir des membres de l'UE se déchirer de cette manière, mais son patron, Filippo Grandi, a admis que la position italienne doit être entendue.

L'Italie a défendu sa décision de refuser l'accostage du navire de sauvetage Aquarius, affirmant qu'elle n'a jamais abandonné le navire et qu'elle l'escorte vers l'Espagne. L'Espagne s'est portée volontaire et a offert le port de Valence, après que l'Italie et Malte eurent toutes deux refusé.

L'impasse sur l'Aquarius est apparue comme une tactique claire du nouveau gouvernement italien pour forcer la main de l'Europe en vue du prochain sommet des dirigeants de l'UE à Bruxelles les 28 et 29 juin. L'Italie se plaint depuis des années qu'elle a été laissée largement seule pour gérer la crise migratoire en Europe, mais le nouveau gouvernement affirme que sa tactique a finalement fait passer le message.

Le président français Emmanuel Macron avait fustigé ce qu'il appelait le cynisme et l'irresponsabilité de l'Italie en détournant l'Aquarius, qui est opéré par le groupe humanitaire SOS Méditerranée et le groupe français Médecins sans frontières.

Le bureau de M. Macron a déclaré mardi que la France ne voulait pas «créer un précédent» qui permettrait à certains pays européens d'enfreindre les lois internationales et de dépendre d'autres États membres de l'UE pour accueillir des migrants.

Dans son discours, M. Salvini a riposté et a déclaré que la France avait renvoyé 10 249 migrants à la frontière nord de l'Italie depuis janvier »y compris les femmes, les enfants et les personnes handicapées».  Le passage de la frontière à Vintimille est le théâtre de protestations et de désespoir depuis des années, la France ayant refusé de laisser entrer des migrants, dont beaucoup cherchent à rejoindre leur famille en France ou en Allemagne.

En vertu des lois sur l'asile de l'UE - qui font actuellement l'objet d'une révision dans le cadre d'un conflit politique majeur - les migrants doivent demander l'asile dans le pays européen où ils posent le pied pour la première fois. En pratique, cela impose un lourd fardeau à l'Italie et à la Grèce, où des centaines de milliers de personnes sont entrées ces dernières années. Certains pays estiment avoir le droit de refuser les migrants qui auraient dû s'inscrire ailleurs.

M. Salvini a également exigé que la France respecte son engagement de relocaliser des migrants dans le cadre d'un programme européen de 2015 qui n'a jamais été pleinement mis en oeuvre.

La France aurait dû accepter un total de 19 714 migrants provenant d'Italie et de Grèce; en tout, elle a en accueilli 4677. Dans l'Union européenne, seulement un tiers des 98 255 migrants qui devaient être réinstallés dans le cadre du programme l'avaient été à la fin de l'année dernière.

Le parti politique de M. Salvini a fait campagne lors des élections nationales du 4 mars sur un programme anti-migrants fort qui comprenait des promesses d'expulsions massives de migrants déjà présents. Selon les chiffres du gouvernement, l'Italie a accepté 640 000 migrants depuis 2014, mais le nombre d'arrivées cette année est à son plus bas niveau depuis cinq ans: 14 441 depuis janvier.

Le nombre de migrants arrivant en Italie a commencé à chuter l'an dernier après que le gouvernement italien du Parti démocratique de centre-gauche ait négocié des accords controversés avec la Libye, renforçant ainsi sa capacité à mieux patrouiller ses côtes et à décourager les trafiquants terrestres.

Plus tôt mercredi, M. Salvini a accusé la France d'avoir provoqué l'instabilité en Libye qui a permis aux réseaux de contrebande de prospérer en menant en 2011 la campagne militaire de l'OTAN qui a conduit à la chute de l'homme fort libyen Mouammar Kadhafi.

L'Aquarius et deux navires italiens qui ont emmené certains des migrants devraient maintenant arriver à Valence samedi soir, si les conditions météorologiques le permettent, a déclaré la cofondatrice de SOS Méditerranée, Sophie Beau. Le port est à environ 1500 kilomètres d'où le navire était immobilisé depuis samedi soir.