«Je n'ai pas peur de vous, je place ma confiance en Allah». Salah Abdeslam, le seul membre encore vivant des commandos djihadistes de novembre 2015 à Paris, a refusé de répondre et a défié la justice lundi, au premier jour de son procès à Bruxelles dans un autre dossier.

Une peine de vingt ans de prison a été requise contre lui pour cette fusillade avec la police à Bruxelles à la fin de sa cavale, en mars 2016. L'audience a été suspendue jusqu'à jeudi, qui pourrait être le dernier jour des débats, au lieu de vendredi comme initialement prévu, le jugement devant être mis en délibéré.

«Je ne souhaite pas répondre, à aucune question», a déclaré d'emblée Salah Abdeslam lorsqu'a commencé son interrogatoire sur les faits.

Mais «mon silence ne fait de moi ni un coupable ni un criminel, c'est ma défense», a ajouté le Français d'origine marocaine âgé de 28 ans, barbe fournie et cheveux gominés rabattus en arrière, soulignant qu'à ses yeux «les musulmans sont jugés et traités de la pire des manières, impitoyablement».

«Je n'ai pas peur de vous, je n'ai pas peur de vos alliés, de vos associés, je place ma confiance en Allah et c'est tout», a-t-il lancé à la présidente du tribunal Marie-France Keutgen.

La procureure fédérale Kathleen Grosjean a requis, dès lundi après-midi, une même peine de 20 ans de prison contre lui et contre Sofiane Ayari, lui aussi accusé d'avoir tiré sur des policiers le 15 mars 2016 dans la commune bruxelloise de Forest.

Il s'agit de la peine maximale prévue en correctionnelle pour les faits jugés, selon la représentante du parquet. Des sources judiciaires avaient précédemment estimé qu'elle pouvait atteindre 40 ans.

Aucune image

Extrait en fin de nuit de la prison de Fleury-Mérogis en région parisienne, l'ex-«ennemi public numéro un» s'est présenté devant le tribunal correctionnel vêtu d'une veste claire et d'un pantalon noir.

Comme Sofiane Ayari, il est entré dans la salle d'audience encadré par deux policiers armés. Son avocat Sven Mary a fait savoir que son client souhaitait qu'aucune image de lui ne soit prise par les médias.

Le procès de Bruxelles n'est qu'un préambule à celui qui aura lieu en France pour les attentats qui y ont fait 130 morts. Il était néanmoins très attendu.

Le jeune homme, qui a grandi dans le quartier populaire bruxellois de Molenbeek où il a d'abord été connu comme petit délinquant avant de se radicaliser, apparaît au coeur d'une cellule djihadiste impliquée dans au moins trois dossiers terroristes majeurs.

Les attentats de novembre 2015 à Paris, ceux du 22 mars 2016 à Bruxelles (32 morts) et l'attaque avortée dans le train Thalys Amsterdam-Paris en août 2015 relèvent «peut-être d'une unique opération» de l'organisation djihadiste État islamique (EI), selon la justice belge.

C'est ce qui a poussé une association de victimes du terrorisme, V-Europe, à se porter partie civile au procès. Une demande qui sera débattue au cours d'une autre audience, le 29 mars.

Face au silence du prévenu, «la déception est là, mais on a aussi des motifs d'espérance», a dit à l'AFP Me Guillaume Lys, qui défend cette association créée au lendemain des attentats de Bruxelles. «Ce n'est pas parce qu'il refuse de parler que son avocat ne va pas nous apprendre des choses», a-t-il ajouté.

Me Maryse Alié, qui défend cinq des six policiers cibles de tirs le 15 mars 2016, a fait valoir que le prévenu vedette pourrait décider de prendre la parole jeudi.

Garder le silence «c'est son droit bien entendu, mais c'est dommage dans la mesure où il a souhaité être présent à cette audience», a souligné cette avocate devant la presse.

À l'issue de l'audience, Salah Abdeslam a été transféré à la prison de Vendin-Le-Vieil (nord de la France), où il doit séjourner pendant le procès.

Salah Abdeslam est arrivé à la prison de Vendin-le-Vieil peu après 20h00 (14h00 HE), a-t-on appris auprès de l'administration pénitentiaire.

Un premier convoi de trois véhicules blancs, les gyrophares allumés, est d'abord arrivé, suivi d'un second, sans qu'il soit possible d'identifier les occupants des véhicules, a constaté une journaliste de l'AFP.

«Scène de guerre»

Les faits jugés à Bruxelles remontent au 15 mars 2016. Des enquêteurs français et belges avaient été surpris par des tirs pendant une perquisition de routine dans une des multiples planques belges de la cellule djihadiste, rue du Dries à Forest.

Trois policiers avaient été blessés et un djihadiste algérien de 35 ans, Mohamed Belkaïd, tué en leur faisant face avec une kalachnikov pour couvrir la fuite de Salah Abdeslam et de Sofiane Ayari.

«C'est une véritable scène de guerre à laquelle les policiers ont été confrontés (...) C'est un miracle qu'il n'y ait pas eu de morts» parmi eux, a estimé lundi la procureure Mme Grosjean.

Cet épisode avait précipité la fin de la cavale de celui qui était alors l'homme le plus recherché d'Europe et dont l'empreinte ADN avait été découverte dans la planque.

Il avait été interpellé avec Ayari trois jours plus tard, le 18 mars, à Molenbeek. Leur arrestation avait été considérée par les enquêteurs comme l'élément déclencheur des attentats du 22 mars 2016, quand trois kamikazes se sont fait exploser à l'aéroport et dans le métro de la capitale belge.

Jugé dans l'ombre de Salah Abdeslam, Sofiane Ayari est lui aussi soupçonné dans le cadre de l'enquête sur les attentats parisiens, où il apparaît sous plusieurs fausses identités. Ce Tunisien de 24 ans fait partie de la dizaine de djihadistes qu'Abdeslam a convoyés depuis l'Europe centrale entre août et octobre 2015.