Une journaliste et traductrice allemande a été remise en liberté conditionnelle lundi après avoir passé huit mois en prison dans le cadre d'un procès pour activités «terroristes», une affaire qui a tendu les rapports entre Ankara et Berlin.

Mesale Tolu, 33 ans, a été sortie de la prison pour femmes de Bakirköy, à Istanbul dans l'après-midi, puis amenée au commissariat d'où elle a été libérée dans la soirée, quelques heures après qu'un tribunal eut ordonné sa libération conditionnelle.

Mme Tolu a toutefois l'interdiction de quitter la Turquie et doit se présenter au commissariat une fois par semaine. De plus, les charges pesant contre la journaliste ne sont pas abandonnées, et le procès doit reprendre le 26 avril.

À sa sortie, elle est montée à bord d'une voiture avec son père, son époux et son fils, pour se rendre au bureau de ses avocats, où elle a affirmé à l'AFP être «très heureuse d'avoir été libérée».

«J'ai passé huit mois difficiles», a-t-elle ajouté, disant qu'elle ne s'attendait pas à être libérée car «le droit ne prévaut pas toujours» en Turquie.

«D'une part, c'est une bonne nouvelle, car elle va être libérée», a réagi lundi la chancelière allemande Angela Merkel après l'annonce de la décision du tribunal. «Mais d'autre part, ce n'est pas totalement une bonne nouvelle, car elle ne peut pas quitter le pays et le procès se poursuit».

L'incarcération de la journaliste a contribué à tendre les relations entre Ankara et Berlin, qui a vivement critiqué l'arrestation de plusieurs de ses ressortissants dans le cadre des purges lancées après la tentative de coup d'État du 15 juillet 2016.

Arrêtée en avril puis écrouée en mai, Mme Tolu est jugée depuis octobre pour propagande et appartenance au Parti communiste marxiste-léniniste (MLKP), une formation interdite en Turquie car considérée comme «terroriste». Elle risque jusqu'à 15 ans de prison.

Cette citoyenne allemande d'origine turque âgée de 33 ans, qui travaillait notamment comme journaliste et traductrice pour une petite agence de presse turque de gauche, Etkin Haber Ajansi (ETHA), est jugée avec 17 autres personnes.

Le tribunal a ordonné lundi la remise en liberté conditionnelle des six accusés qui comparaissaient en détention provisoire, dont Mme Tolu.

L'accusation contre Mme Tolu repose principalement sur sa présence à des manifestations et des funérailles de militants du MLKP. Les soutiens de la journaliste, qui rejette toutes les charges, dénoncent un procès politique. 

«Premier pas» 

Le ministère allemand des Affaires étrangères a indiqué accueillir «avec joie et soulagement» la décision du tribunal turc, «même si la procédure n'est pas terminée». «C'est un premier pas», a déclaré une porte-parole du ministère, Maria Adebahr.

La décision du tribunal turc survient alors qu'Ankara a multiplié ces dernières semaines les signaux d'apaisement en direction de Berlin, libérant notamment deux ressortissants allemands avant Mme Tolu.

Signe de cette relative accalmie, la chancelière Merkel et le président turc Recep Tayyip Erdogan ont convenu de «donner une nouvelle impulsion aux contacts bilatéraux» lors d'un entretien téléphonique fin novembre, selon la présidence turque.

Le porte-parole de la chancelière allemande Angela Merkel, Steffen Seibert, a toutefois estimé qu'il était «trop tôt pour tirer des conclusions sur (l'évolution des) relations germano-turques». «Ce n'est en aucun cas la fin de l'affaire Mesale Tolu», a-t-il insisté.

Après la libération conditionnelle de Mme Tolu, huit ressortissants allemands ou binationaux germano-turcs sont actuellement emprisonnés en Turquie.

Parmi eux figure un journaliste du quotidien Die Welt, Deniz Yücel, écroué depuis février.

Berlin condamne fermement l'ampleur des purges entreprises en Turquie après le putsch manqué, au cours desquelles plus de 55 000 personnes ont été arrêtées et plus de 140 000 limogées ou suspendues.

Pour sa part, Ankara accuse l'Allemagne de faire preuve d'indulgence envers des «terroristes», en abritant des séparatistes kurdes et des putschistes présumés.

Selon le site internet P24, spécialisé dans la liberté de la presse, quelque 170 journalistes sont détenus en Turquie, qui occupe la 155e place sur 180 au classement de la liberté de la presse établi par l'ONG Reporters sans frontières (RSF).