Une animatrice de la radio russe Écho de Moscou, critique du Kremlin, a été placée en coma artificiel après avoir été poignardée lundi par un homme visiblement déséquilibré, des journalistes y voyant le résultat d'un climat de «haine» alimenté par le pouvoir.

Tatiana Felguengauer, rédactrice en chef adjointe de la première radio libre créée à la fin de l'URSS et présentatrice d'une émission populaire du matin, participe régulièrement aux manifestations de l'opposition. Elle a été agressée vers 09H45 dans les locaux de la radio, situés en plein centre de la capitale russe.

La journaliste de 32 ans a été opérée et placée en coma artificiel en fin d'après-midi, mais ses jours ne sont pas en danger, a indiqué le rédacteur en chef de la radio, Alexeï Venediktov.

L'assaillant a pénétré dans les locaux de la radio, a attaqué le gardien de l'immeuble avant de monter dans la rédaction et de «poignarder dans le cou» Tatiana Felguengauer, a déclaré à l'AFP M. Venediktov.

«Il y avait beaucoup de sang et elle était en état de choc», a-t-il raconté à la presse.

Le Comité d'enquête, chargé des affaires les plus sensibles en Russie, a annoncé avoir ouvert une enquête pour «tentative d'homicide» contre cet homme de 48 ans, identifié comme étant Boris Grits, citoyen russo-israélien né en Abkhazie. Parti en Israël en 2003 après des études à Moscou, il est revenu dans la capitale russe il y a un mois, selon la même source.

«Liens télépathiques»

La police a mis en avant l'hypothèse d'une «hostilité personnelle» de l'agresseur contre la victime. Elle a publié une vidéo où il tient des propos peu cohérents : il affirme avoir avec la victime «un lien télépathique depuis 2012» et assure qu'elle «le pourchassait sexuellement toutes les nuits» via ce «lien».

La radio a de son côté publié un lien vers ce qu'elle présente comme le blog de l'agresseur, où il tient des propos du même type.

«L'assaillant n'a émis aucune prétention en lien avec l'activité professionnelle de Tatiana Felguengauer au cours de l'interrogatoire», a indiqué le Comité d'enquête dans un communiqué, ajoutant qu'il allait subir un examen psychiatrique.

Le syndicat des journalistes russes a regretté de son côté la diffusion récente de reportages à charge contre Écho de Moscou sur la chaîne publique d'information, Rossiïa-24, relais des points de vue du Kremlin.

Ces sujets accusaient «les journalistes d'Écho de Moscou et Tatiana Felguengauer personnellement de travailler pour le département d'État américain, de collaborer avec des ONG occidentales, de critiquer les autorités et de soi-disant participer aux manifestations» de l'opposant Alexeï Navalny, a indiqué le syndicat.

«Nous estimons que ces sujets alimentent la haine à l'encontre de nos confrères et ont pu provoquer l'attaque contre Tatiana par un individu déséquilibré», a-t-il ajouté.

La radio Écho de Moscou, première station libre née en 1990 avant la chute du régime soviétique, était passée sous le contrôle du groupe public gazier Gazprom en 2001, un an après l'arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine.

La station a néanmoins réussi à rester la principale radio russe à offrir des points de vue indépendants, dans un paysage médiatique verrouillé où les grandes chaînes de télévision sont sous contrôle.

Ses journalistes sont «sous le choc», a constaté son rédacteur en chef Alexeï Venediktov. «Ce n'est pas la première fois qu'on attaque un journaliste d'Écho de Moscou».

Une autre journaliste et présentatrice de cette radio, Ioulia Latynina, a annoncé cette année avoir quitté la Russie après une série d'agressions visant son domicile et sa voiture.

De nombreux journalistes ont été agressés, blessés ou assassinés ces dernières années dans le pays, et les enquêtes de police n'aboutissent que très rarement.

Selon le Comité pour la protection des journalistes, quelque 58 journalistes ont été tués en Russie depuis 1992.