Le gouvernement espagnol et l'Union européenne ont adressé mardi une ultime mise en garde au président séparatiste catalan Carles Puigdemont, l'exhortant à ne pas prendre de décision irréversible, peu avant un discours devant le Parlement régional où il pourrait unilatéralement proclamer l'indépendance.

Carles Puigdemont, 54 ans, a monté les marches tapissées de velours rouge, sous les crépitements d'innombrables flashes de photographes du monde entier, 358 journalistes étrangers étant accrédités, du jamais vu au sein du parlement catalan selon le service de presse.

Il doit prononcer à partir de 19h00 (13h00 à Montréal) un discours historique dans l'enceinte du bâtiment, placé sous sécurité maximale et protégé par des dizaines de fourgons de police, alors qu'un hélicoptère des Mossos d'Esquadra, la police catalane, tournait dans le ciel.

Cinq tracteurs, décorés du drapeau catalan, étaient stationnés un peu plus loin, conduits par des agriculteurs pro-indépendantistes.

Les Catalans, divisés presque à parts égales à ce sujet, et les Espagnols en général n'ont qu'une question en tête : la Catalogne, une des régions les plus riches d'Espagne, déclarera-t-elle son indépendance, tirant les conséquences du référendum illégal du 1er octobre que les séparatistes affirment avoir très largement remporté ?

L'Union européenne, déjà secouée par le Brexit, suit la crise avec inquiétude, ses dirigeants prévenant que l'Union européenne ne reconnaîtrait pas une Catalogne indépendante.

Le président du Conseil européen Donald Tusk a encouragé Carles Puigdemont à éviter «une décision qui rendrait le dialogue impossible», redoutant «un conflit dont les conséquences seraient à l'évidence négatives pour les Catalans, pour l'Espagne et pour toute l'Europe».

Le président français Emmanuel Macron a souhaité une solution pacifique face à ce qu'il a qualifié de «coup de force des Catalans».

À Madrid, le chef du gouvernement conservateur Mariano Rajoy a laissé entendre ces derniers jours qu'en cas de déclaration unilatérale d'indépendance, il pourrait suspendre l'autonomie de la région, une mesure jamais appliquée dans cette monarchie parlementaire extrêmement décentralisée.

Mais il a d'autres instruments à sa disposition. Il a déjà pris le contrôle des finances de cette région en septembre. Il peut aussi instaurer un état d'urgence allégé lui permettant d'agir par décrets.

«Il ne cèdera pas»

«Je veux demander à M. Puigdemont qu'il n'entreprenne rien d'irréversible, qu'il n'emprunte aucun chemin sans retour», a déclaré mardi le porte-parole du gouvernement Inigo Mendez de Vigo.

Carles Puigdemont, indépendantiste depuis son plus jeune âge, pourrait choisir une voie médiane, une «déclaration d'indépendance en différé», ou se contenter d'une proclamation symbolique, évoquant l'urgence d'un dialogue, et enclenchant un processus par étapes, pour ne pas perdre la face.

Selon plusieurs médias espagnols, il a écrit et réécrit son texte toute la journée de lundi, tiraillé sans doute entre les partisans d'un départ sans ménagements et ceux qui craignent que le remède, l'indépendance, ne soit finalement pire que le mal, la tutelle de Madrid.

«Il n'a jamais subi autant de pressions», a déclaré une source indépendantiste à l'AFP, «mais il ne cédera ni à la CUP (Candidature d'unité populaire, parti d'extrême gauche qui fait partie de la majorité indépendantiste au Parlement catalan) ni à la Caixa», du nom de la banque espagnole qui a transféré son siège social hors de Catalogne.

Six des sept grandes entreprises catalanes cotées à l'indice des valeurs vedettes de la Bourse de Madrid ont pris cette mesure mais des dizaines de sociétés plus petites ont fait de même. La compagnie d'assurances Catalana Occidente et l'agence de voyages en ligne e-dreams leur ont emboîté le pas mardi.

Cet exode continuerait en cas de déclaration unilatérale d'indépendance, qui serait «un désastre» pour l'Espagne et pour la Catalogne, a estimé mardi le président de la Chambre de commerce espagnole, José Luis Bonet.

Mais les séparatistes encouragent M. Puigdemont à persévérer, même si le leader catalan et ses lieutenants risquent une arrestation dès mardi.

Toute mesure draconienne risque cependant de provoquer des troubles en Catalogne, où huit électeurs sur dix auraient souhaité un référendum en bonne et due forme, en lieu et place de celui du 1er octobre.

La tension y est déjà extrême, ainsi que dans toute l'Espagne où les vieux fantômes du passé ressurgissent quand parmi les «patriotes» défendant l'unité du royaume se glissent des nostalgiques de la dictature de Francisco Franco (1939-1975).

De nombreuses questions demeurent aussi sur la mise en oeuvre d'une telle indépendance dans une région qui a d'ores et déjà la main sur l'éducation, la santé et la police mais où les finances et le contrôle de l'espace aérien, des infrastructures (ports, aéroports, réseau ferroviaire, télécommunications, etc.) et de l'armée restent entre les mains de l'État central.