Les bureaux de vote à travers la Catalogne ont fermé, à 20h (heure locale), après une journée émaillée par les assauts de la police fédérale contre le scrutin.

Les responsables électoraux doivent maintenant comptabiliser les votes, une tâche qui sera compliquée par la saisie des réseaux informatiques du gouvernement régional. 

À l'école secondaire Miquel Tarradell, au centre de Barcelone, les centaines d'électeurs restés devant le bureau de vote pour le protéger ont effectué un décompte jusqu'à la fermeture des portes. Des journalistes internationaux ont été invités à s'y enfermer pour observer le décompte. 

Ailleurs dans Barcelone, la presse locale rapporte que des barricades ont été érigées afin de protéger les urnes: certains craignent que les assauts de cet avant-midi reprennent et que la police tente de saisir les urnes pleines. 

Les services médicaux d'urgence régionaux affirment avoir traité 761 personnes en lien avec cet événement depuis le début de la journée. Les images des opérations policières musclées où plusieurs d'entre elles ont été blessés tournent en boucle sur les chaînes catalanes et du monde entier.

Juste après 9 h, heure prévue d'ouverture des bureaux de scrutin, des unités de la Garde civile - qui dépend du ministère de l'Intérieur espagnol - sont entrées de force dans plusieurs d'entre eux afin de saisir le matériel nécessaire au scrutin. Ils ont continué tout l'avant-midi, à Barcelone et ailleurs en Catalogne.

Le bureau de scrutin où le président indépendantiste catalan Carles Puigdemont devait voter, dans une petite ville à plusieurs dizaines de kilomètres au nord de Barcelone, a été rapidement investi par les autorités, ont rapporté les médias locaux.

À 11h (5h heure de Montréal), le gouvernement régional a annoncé que 73% des bureaux de vote étaient actifs.



Matraques et balles de caoutchouc



À l'école Ramon Llull, tout près de la Sagrada Familia, des policiers ont escaladé la grille afin d'accéder aux tables de vote malgré les quelques centaines de personnes qui bloquaient l'accès au bâtiment. Ceux-ci brandissaient des bulletins de vote au visage des policiers en scandant en catalan le mot d'ordre du jour: «nous voterons».

À travers le vrombissement de l'hélicoptère de police, les policiers ont réussi à confisquer les urnes. Des policiers cagoulés et prenant place dans des véhicules banalisés ont participé à l'opération.

«Nous sommes pacifiques, nous voulons seulement voter. La réponse du gouvernement espagnol est honteuse», a affirmé Francesc Palacin, un jeune catalan. Il espère pouvoir exprimer son choix ailleurs, puisque le gouvernement régional a annoncé ce matin qu'il abolissait l'obligation de voter dans son propre quartier.

La scène s'est reproduite un peu partout dans la région, selon la radio nationale catalane, qui passait frénétiquement d'un correspondant local à l'autre.

Après l'opération de l'école Ramon Llull, des manifestants ont tenté d'empêcher les véhicules de police de quitter les lieux avec les urnes, déclenchant un face-à-face d'une trentaine de minutes. «Si nous n'arrêtons pas les policiers, ils vont continuer d'aller d'école en école», a expliqué David Pujol, assis sur le pavé, à quelques mètres des policiers antiémeute. Peu après, les hommes de la Garde civile se sont frayé un chemin à coups de matraque et de balles de caoutchouc, faisant au moins trois blessés, dont deux à la tête.

Madrid dénonce «une farce»

Après un avant-midi tumultueux, la situation s'est calmée vers le milieu de la journée, les médias catalans et les réseaux sociaux ne recensant plus de nouvelles opérations musclées.

Dans plusieurs bureaux de vote de Barcelone, de longues files se sont formées pour voter. Les électeurs qui sortent des bureaux de vote sont applaudis. Certains demeurent sur place, au cas où ils aient à défendre les urnes contre la police.

Mais le gouvernement espagnol a dénoncé un référendum «devenu une farce» et a appelé le gouvernement régional à cesser l'exercice, en vain. La vice-première ministre a placé la responsabilité de la situation sur les épaules de Barcelone.

Le ministère espagnol de l'Intérieur a défendu l'action de ses policiers et déplore que 12 d'entre eux aient été blessés. «Nous appliquons la loi de manière ordonnée», lit-on sur son compte Twitter officiel, qui évoque des «moyens raisonnables» et appelle à «la collaboration de chacun». Madrid affirme qu'il doit faire appliquer une décision de justice émise cet été et qui interdit la tenue du scrutin. Vers 17h, le ministère a indiqué avoir réussi à faire fermer 92 bureaux de scrutin sur plus de 2300 prévus. Les systèmes électroniques de comptabilisation des votes ont aussi été perturbés par Madrid pendant au moins une partie de la journée.

Le gouvernement indépendantiste catalan, lui, a exigé la démission du représentant de Madrid en Catalogne en évoquant «une répression digne du franquisme».

Jordi Turull, porte-parole, a aussi les Catalans à continuer à résister «de manière civique et pacifique», selon La Vanguardia.

La journée avait commencé plus calmement. La police régionale - qui dépend de Barcelone, mais doit tout de même faire respecter la décision de justice interdisant le référendum - était passé de bureau de vote en bureau de vote afin de vérifier s'il était possible de les fermer. Les médias locaux ne rapportent aucun cas de bureaux fermés à cette occasion.

À l'école Diputacio, dans le quartier barcelonais de Eixample, deux agents ont simplement rédigé un document décrivant le fait que le bâtiment était occupé par quelques centaines de personnes. Ils ont quitté sous les applaudissements de la foule.

Des réactions au Québec et ailleurs

Appelé à réagir, le Canada a émis une déclaration prudente. «Bien que la question de la Catalogne est un enjeu interne pour l'Espagne, le bilan de violence sur le terrain aujourd'hui est inquiétant.‎ Nous espérons qu'une solution sera trouvée dans le respect, dans la primauté de la règle de droit à travers un dialogue pacifique», a déclaré à La Presse Adam Austen, porte-parole de la ministre des Affaires étrangères du Canada, Chrystia Freeland. 

Au Québec, l'ensemble de la classe politique a dénoncé les violences perpétrées par la Garde civile et les policiers nationaux contre les électeurs catalans.

Le premier ministre du Québec Philippe Couillard a déclaré sur Twitter que le gouvernement suivait la situation de près. «Québec condamne toute forme de violence. La réponse: le dialogue entre les parties.»

Le chef de l'opposition officielle, Jean-François Lisée, a tenu des propos plus fermes: «Un jour noir pour l'Europe et la démocratie. Tous les dirigeants doivent dénoncer l'Espagne, a-t-il écrit sur Twitter. Je salue le peuple catalan qui se tient debout devant l'indigne et honteuse violence de l'État espagnol.»

«Je déplore l'utilisation de la force et de la répression par l'État espagnol pour contrer la tenue du référendum en Catalogne», a pour sa part déclaré le chef de la CAQ, François Legault.

«Le gouvernement espagnol devrait avoir honte d'envoyer l'antiémeute dans des bureaux de vote!», a dénoncé la co-porte-parole de Québec solidaire, Manon Massé. «Les images en provenance de Catalogne sont révoltantes. Courage aux démocrates, honte au gouvernement espagnol!», a renchéri son co-porte-parole, Gabriel Nadeau-Dubois.

Il y a quelques jours, Jean-François Lisée avait comparé «ce qui se passe en Catalogne aujourd'hui» à la loi des mesures de guerre décrétée par le gouvernement fédéral de Pierre Elliott Trudeau en octobre 1970.

Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, n'a toujours pas réagi aux événements en Catalogne. Plusieurs internautes lui ont d'ailleurs reproché son silence sur les réseaux sociaux.

Jusqu'ici, peu de chefs d'État ont réagi officiellement aux événements violents de la journée. 

Le premier ministre de Belgique, Charles Michel, a déclaré: «La violence ne peut jamais être la réponse! Nous condamnons toutes formes de violence et réaffirmons notre appel pour un dialogue politique», a-t-il écrit.  

La première ministre écossaise Nicola Sturgeon, a déclaré pour sa part que «certaines des scènes en Catalogne ce matin sont très choquantes et sûrement pas nécessaires. Laissez seulement le peuple voter.»

Martine Ouellet, chef du Bloc québécois, se trouve en Catalogne. «Quel pays? Quel pays de l'Europe va dénoncer les agissements de Madrid?», a-t-elle demandé sur Twitter.