Une victoire? Quelle victoire? Angela Merkel et ses partisans n'arrivaient pas à se réjouir de sa réélection, dimanche soir, devant l'entrée de l'extrême-droite au parlement allemand pour la première fois depuis la chute du nazisme.

La chancelière a obtenu un quatrième mandat à la tête d'une Allemagne que plusieurs croyaient immunisée aux sirènes du populisme identitaire. À tort. 

Alternative für Deutschland (AfD), un parti anti-islam et hostile à l'Union européenne, a recueilli quelque 13,5% des voix exprimées, lui garantissant de facto plusieurs dizaines de députés au Bundestag, le parlement fédéral. L'AfD est devenue subitement la troisième force politique d'Allemagne derrière le parti d'Angela Merkel (avec 33% des voix) et les sociaux démocrates (20,7%).  

«Ne tournons pas autour du pot, nous espérions un meilleur résultat», a admis la chancelière dimanche soir, depuis son quartier-général de Berlin. «Nous sommes face à un nouveau grand défi, l'entrée de l'AfD au Bundestag.»

À la soirée électorale de l'AfD, justement, on a poussé l'audace jusqu'à interrompre la retransmission du discours d'Angela Merkel en l'enterrant de musique disco afin de permettre aux deux leaders du parti, Alice Weidel et Alexander Gauland, de monter sur scène. La première a qualifié les résultats de «fulgurants» avant d'affirmer qu'ils «constituent une surprise pour le parti». «Nous allons changer ce pays», a affirmé le second, selon l'AFP.

«Enfin une véritable opposition»

Les derniers sondages avaient détecté une remontée de l'AfD, mais pas de cette ampleur. Les deux grands partis traditionnels, conservateurs et sociaux-démocrates, font moins bien que prévu et enregistrent tous deux leurs pires résultats de l'histoire moderne.

«C'est incroyable, a affirmé une bière à la main Markus Frohnmaier, porte-parole de l'aile jeunesse de l'AfD et candidat fraîchement élu au parlement. Je suis tout à fait satisfait. C'est aujourd'hui que les Allemands obtiennent enfin une véritable opposition au parlement.» Même son de cloche du côté de sa collègue Beate Prömm, qui s'est impliquée dans la campagne berlinoise du parti : «On a bien fait. Il faut se rappeler que nous sommes très récents, le premier parti de centre-droit depuis 1949.»

Mais au pied de la tour où avait lieu l'événement, sur la fameuse Alexanderplatz berlinoise, d'autres ne l'entendaient pas de la même oreille. Dès le début de la soirée, quelques centaines de manifestants s'étaient rassemblés pour faire entendre leur dégoût. «Je ne veux pas que le monde pense que l'Allemagne appuie l'AfD. Nous voulons dire qu'ils ne font pas ça en notre nom», a fait valoir Nora B., qui tenait une pancarte clamant que «la xénophobie n'est pas une alternative». Une référence au nom de l'AfD.

«On voit que les gens sont inquiets»

Au quartier-général de la CDU, le parti conservateur d'Angela Merkel, le code vestimentaire était plus chic que sur l'Alexanderplatz, mais le message ne différait pas tellement. Malgré les ballons, malgré le vin et malgré les chiffres, on avait du mal à se réjouir de la quatrième victoire consécutive de la chancelière.

«Je suis très mécontent. Nous serons encore au gouvernement, ce qui est le but, mais nous aurions aimé de meilleurs résultats», a fait valoir le jeune Timo Kaiser, qui s'était déplacé avec ses amis. La performance de l'AfD «est décourageante. On voit que les gens sont inquiets et craignent la question des réfugiés. Nous devons aller voir les gens et répondre à leurs questionnements.»

AP

La police surveille de près des manifestants anti-AfD, à Berlin.

Jens Tescheke, qui assistait à la soirée avec son fils, ne se gênait pas pour s'en prendre directement à Mme Merkel, qui aurait selon lui adopté la mauvaise attitude devant la crise des migrants. «C'est elle qui est à blâmer», a-t-il dit, visiblement fâché.

Leur déception n'avait toutefois rien à voir avec l'atmosphère funéraire qui régnait au siège du parti social-démocrate, l'autre grand parti traditionnel. Les visages étaient longs et l'on n'y buvait pas pour célébrer. La grande vague de popularité qui portait son nouveau chef Martin Schulz au printemps dernier s'est écrasée avec fracas dimanche soir, le parti enregistrant son pire score depuis 1933. 

Mais là aussi, les résultats du parti étaient éclipsés par l'élection de députés de l'AfD. «C'est un désastre total de la démocratie, a déploré Peter Freiesleben, secoué. Avec l'histoire de ce pays, il aurait dû se passer des siècles et des siècles avant qu'un parti d'extrême-droite soit au parlement.» Farnaz Nasiriamini, une jeune employée de campagne, évoquait elle aussi l'argument historique : «Ça ne fait même pas 100 ans que la Première Guerre mondiale est terminée. Ça ne se peut pas qu'il y ait des nazis au parlement.»

Des commentaires qui font écho à ceux de son chef : une «journée difficile et amère pour la social-démocratie», a-t-il déploré en début de soirée.

M. Schulz a rapidement annoncé le retour de son parti dans l'opposition dimanche soir : c'est que les sociaux-démocrates gouvernaient en coalition avec Angela Merkel depuis 2013. Mais plus question de poursuivre l'aventure. 

Cette fin de non recevoir compliquera la tâche à Angela Merkel, qui commencera rapidement les négociations qui détermineront le visage du prochain gouvernement. Car en Allemagne, pas de majorité sans coalition. Dimanche soir, les analystes pointaient comme issue une coalition entre les conservateurs d'Angela Merkel, les libéraux et les écologistes.

REUTERS

Martin Schulz, chef du parti social-démocrate, avait la mine longue dimanche soir.