Vladimir Poutine, sans lever le suspense sur ses intentions pour la présidentielle de mars prochain, a répondu longuement à la télévision jeudi aux doléances de Russes en détresse après deux ans de crise, étrillant au passage son principal opposant Alexeï Navalny.

Pendant près de quatre heures, l'exercice très rodé de la «Ligne directe» a donné lieu aux habituelles promesses de régler les tracas quotidiens de la population, confidences sur sa vie privée avec la naissance de ses petits-enfants et piques ironiques aux Occidentaux comme lorsqu'il a proposé l'asile à l'ex-chef du FBI James Comey.

À neuf mois de la présidentielle, M. Poutine, au pouvoir depuis 17 ans, a en revanche soigneusement éludé les questions sur une éventuelle candidature pour un quatrième mandat et n'a qu'implicitement été interrogé sur les manifestations organisées deux fois en trois mois par son premier opposant Alexeï Navalny, marquées encore lundi par plus de 1700 arrestations.

«Je suis prêt à dialoguer avec tous ceux qui désirent améliorer la vie des gens, à régler les problèmes, et non pas à utiliser les difficultés existantes pour leur propre communication politique», a martelé M. Poutine.

Après l'émission, lorsqu'une journaliste de la BBC lui a demandé s'il voyait en Alexeï Navalny son principal adversaire, le président russe a d'abord accusé l'audiovisuel public britannique de «faire la propagande» de l'opposant, avant d'expliquer que les manifestations devaient rester «dans le cadre de la loi»: «C'est une chose d'organiser des manifestations et une autre de les utiliser comme un instrument de provocation».

Lors de l'émission elle-même, des questions inhabituellement directes, voire malveillantes, avaient été posées par l'intermédiaire de SMS affichés dans un cadre dans un coin de l'écran: «Trois mandats présidentiels, c'est assez!», «Quand cesserez-vous de violer la Constitution?», «Quand rendrez-vous le pouvoir aux communistes?"

Le président n'a pas eu à y répondre et la grande majorité des doléances ont porté cette année sur les difficultés économiques rencontrées par les habitants à travers le vaste pays, notamment en province: salaires minuscules, amateurisme des responsables locaux et inefficacité de l'administration, désastres écologiques et infrastructures inexistantes.

«Aidez-nous, Vladimir Vladimirovitch! Nous voulons vivre et non plus survivre», a notamment interpellé une jeune femme de la région de Mourmansk (nord) malade du cancer, devant un hôpital dont la construction n'a jamais été terminée.

Plusieurs années de crise économique, aggravée par la chute des prix du pétrole et les sanctions occidentales liées à la crise ukrainienne, ont fait plonger le pouvoir d'achat et les revenus de la population.

L'asile pour Comey

«La récession est terminée», a insisté M. Poutine, reconnaissant néanmoins que le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté avait augmenté de manière «préoccupante» dans le pays et promettant de travailler à l'amélioration du niveau de vie.

Le nombre de Russes vivant sous le seuil de pauvreté a approché l'an dernier 20 millions, plus de trois millions et demi de plus qu'en 2014. Un bond en arrière de dix ans en termes d'amélioration du niveau de vie après d'importants progrès au début des années 2000.

Ces doléances interviennent au lendemain de l'adoption de nouvelles sanctions contre la Russie par le Sénat américain, décision vivement critiquée par M. Poutine et qui relève selon lui d'une politique d'«endiguement» de Washington à l'égard de Moscou.

«À chaque fois que nos partenaires dans le monde ont senti que la Russie était un concurrent important, ils ont adopté des restrictions sous différents prétextes», a-t-il affirmé, tout en assurant: «Nous ne considérons pas l'Amérique comme notre ennemi».

Interrogé sur l'ancien chef du FBI James Comey, limogé par Donald Trump en plein coeur d'une tempête politique sur une ingérence présumée du Kremlin dans la campagne présidentielle américaine, M. Poutine a répondu par la plaisanterie en comparant M. Comey à Edward Snowden, réfugié en Russie après ses révélations sur la surveillance de la NSA.

«Si des poursuites judiciaires sont lancées contre lui, nous sommes prêts à lui donner l'asile politique en Russie», a lancé le président russe, qualifiant sa déposition devant le Sénat américain d'«étrange».

Le président a également évoqué pour la première fois ses deux petits-enfants et dit souhaiter qu'ils grandissent «comme des gens normaux».