Les parents du coin se souviennent bien de lui. Ils l'avaient à l'oeil. L'un des terroristes derrière l'attaque sanglante de samedi à Londres était un militant islamiste radical connu des autorités. Et selon ce qu'ont raconté plusieurs résidants à La Presse hier, il cherchait constamment à se rapprocher des enfants de son voisinage pour les convertir à ses idées.

La police britannique a révélé hier l'identité de deux des trois auteurs de l'attentat de Londres, Khuram Shazad Butt, un Britannique né au Pakistan connu des services de police, et Rachid Redouane, qui se présentait comme un binational marocain et libyen.

Butt, 27 ans, habitait avec sa femme et ses deux enfants dans une tour à logements de 10 étages sur King's Road, dans l'arrondissement de Barking, une banlieue de l'est de Londres.

Cupcakes, chocolats, bonbons, offres de balades en voiture, parties de soccer ou de tennis de table entrecoupées de prières et de discussions sur sa vision particulière de la «vraie foi» : dans le voisinage, il laissait à plusieurs l'image de quelqu'un qui essaye un peu trop de se rapprocher des enfants des autres.

Michael Demiter, un musicien de 33 ans père de six enfants qui habite un immeuble voisin, affirme que Butt avait approché son fils de 10 ans à plusieurs reprises alors que celui-ci jouait au soccer dans le parc avec ses amis.

«Il avait emmené du chocolat à mon fils. J'ai dit à mon fils de ne pas parler aux étrangers, puis j'ai dit au gars qu'il devait me demander la permission avant de faire ça», raconte-t-il avec colère en agitant les bras.

Télévision diabolique

M. Demiter affirme que Butt incitait son fils à «être une bonne personne» et à rejeter le racisme tout en passant en même temps des messages plus radicaux. Il disait que les gens à la télé étaient «comme le diable» et affirmait écouter seulement Dieu, pas la télé ou les ordinateurs. Il avait aussi proposé à l'enfant de l'emmener faire un tour de voiture. Un jour, il a cogné à la porte de la famille Demiter pour offrir du riz et du pain à tout le monde. «Je l'ai repoussé, je lui ai dit d'être gentil avec sa famille à lui, ça va, moi, je ne veux rien.»

Un autre voisin, qui a parlé à condition de ne pas être identifié, a raconté que son fils avait reçu des bonbons de Butt, qui disait vouloir lui montrer à prier. Sa femme est allée confronter l'homme, qui disait ne pas avoir à se justifier devant une femme et insistait pour que les enfants soient introduits à «la seule vraie foi» pour aller au paradis. La dame avait pris une photo de lui et l'avait envoyée à la police.

Un enfant de 10 ans du quartier, autorisé par sa tante à accorder une entrevue à condition de n'être identifié que par ses initiales K.T., affirme que Butt ou un autre membre de son groupe lui avait offert des cupcakes à la vanille couverts de glaçage vert pour le début du ramadan.

«Il a dit : "Je vous donne des cupcakes car, pendant le mois du ramadan, il faut pardonner et être gentil envers les autres, même si vous n'êtes pas musulmans"», se souvient l'enfant.

La police a reconnu hier que Khuram Shazad Butt était connu des services de renseignement britanniques pour ses sympathies radicales. 

Plusieurs médias britanniques ont rapporté hier qu'il était même apparu dans un documentaire appelé The Jihadis Next Door (Les djihadistes d'à côté) qui le montrait avec d'autres hommes dans un parc devant un drapeau semblable à celui du groupe État islamique, au son de discours radicalement anti-Occidentaux. La chose n'était pas connue de ses voisins.

La police dit mener présentement 500 enquêtes antiterroristes concernant 3000 «sujets d'intérêt» sur le territoire. Il serait illusoire de tenter de les suivre tous à la trace. «Notre travail implique nécessairement des choix difficiles sur la priorisation des ressources disponibles alors que le Royaume-Uni fait face à une menace terroriste SÉVÈRE», a déclaré le commandement dans un communiqué.

Hier soir, les 10 personnes encore détenues dans le cadre de l'enquête ont été relâchées. Ces quatre hommes et six femmes avaient été arrêtés dimanche dans le même arrondissement.

Des résidants en réflexion

Hier, alors que les policiers filtraient chaque entrée et sortie dans l'immeuble de Butt, ses voisins se sont lancés dans une grande réflexion sur les signes qui auraient pu être des indicateurs, ou pas, de radicalisation.

Des dizaines de résidants de sa rue ont patiemment répondu aux questions des journalistes du monde entier, répétant inlassablement aux télés norvégienne et japonaise ce qu'ils avaient déjà expliqué aux journaux américains ou à la radio française. Certains laissant même des équipes de tournage s'installer chez eux pour travailler.

«Il priait souvent dans l'aire commune avec un groupe de six ou sept hommes pendant que les enfants jouaient à côté. Nous avions pensé demander au conseil quelles activités étaient autorisées à cet endroit, mais nous ne l'avons pas fait», dit Rohini Ghosh, qui habitait le même immeuble et ne l'avait jamais trouvé inquiétant.

«C'était un gars cool, son truc, c'était le sport. Même s'il avait parfois des désaccords avec des gens sur la religion, il n'avait pas l'air d'un extrémiste», souligne Michael Mimbo, un autre voisin qui discutait souvent de soccer avec lui.

M. Mimbo a vu la fourgonnette utilisée dans l'attentat garée dans sa rue vendredi. Butt se tenait à côté, en présence d'au moins un autre homme, et semblait énervé. Rien n'aurait laissé présager qu'ils s'apprêtaient à écraser des piétons et à égorger des passants au couteau.

Contre l'élection

L'un des chevaux de bataille de Butt semblait être la lutte contre la démocratie et les élections au Royaume-Uni. Le quotidien The Guardian, citant des sources communautaires musulmanes, affirme que le terroriste en devenir avait distribué des tracts contre les élections et incité les fidèles de deux mosquées à rejeter le scrutin.

Son échec sur ce plan fut retentissant. Butt a été expulsé des deux mosquées. Hier, alors que son corps criblé de balles reposait à la morgue, la campagne battait son plein avec une intensité renouvelée, et les candidats multipliaient les sorties publiques.

Le vote aura lieu jeudi tel que prévu.

photo agence france-presse

Khuram Shazad Butt