La France retenait son souffle samedi, à la veille du premier tour d'une élection présidentielle à l'issue très indécise, organisée sous haute surveillance quelques jours après un nouvel attentat à Paris.

Dans cette tension perceptible, l'irruption samedi dans la Gare du Nord de la capitale française d'un homme porteur d'un couteau a suscité un mouvement de panique, avant qu'il ne soit interpellé sans opposer de résistrance.

L'attaque jeudi soir contre un groupe de policiers sur les Champs-Élysées, en plein coeur de Paris, a bouleversé la fin de la campagne électorale et réveillé la peur du terrorisme, dans un pays traumatisé par une vague d'attentats - avec désormais un total de 239 morts depuis début 2015.

L'assaillant, Karim Cheurfi, un Français de 39 ans au lourd passé judiciaire, a tué de sang-froid un policier et en a blessé deux autres, ainsi qu'une touriste avant d'être abattu.

Le groupe État islamique (EI) a rapidement revendiqué l'attaque, qui, après plusieurs attentats meurtriers en Europe et plusieurs tentatives récemment déjouées en France, risque de peser sur la mobilisation et sur le choix des Français, centré sur deux grandes questions, la sécurité et le chômage.

Un quart des électeurs s'avouait encore indécis avant ce scrutin qui s'annonce comme un «match à quatre» serré entre le centriste Emmanuel Macron, la patronne de l'extrême droite Marine Le Pen, le conservateur François Fillon et le champion de la gauche radicale Jean-Luc Mélenchon.

Les deux candidats qui arriveront en tête des suffrages dimanche soir s'affronteront dans un second tour le 7 mai.

La campagne officielle a pris fin vendredi soir à minuit (18h au Québec) et, dès ce samedi les électeurs du Canada et des territoires d'outremer, de Saint-Pierre et Miquelon aux Antilles, commençaient à voter, en raison du décalage horaire.

Au dernier jour, les représentants de la droite et de l'extrême droite ont durci leur discours sécuritaire, appelant à un renforcement de la lutte anti-terroriste.

«Depuis dix ans, sous les gouvernements de droite et de gauche, tout a été fait pour que nous perdions» la «guerre qui nous est menée», a affirmé la présidente du Front national (FN), Marine Le Pen.

François Fillon, affaibli par une affaire d'emplois fictifs présumés au bénéfice de sa famille, s'est pour sa part dit déterminé à combattre le terrorisme «d'une main de fer». «Certains n'ont semble-t-il pas encore totalement pris la mesure du mal qui nous agresse», a-t-il lancé, visant le gouvernement socialiste.

L'ex-ministre de l'Économie Emmanuel Macron, qui espère tirer parti du désir de renouvellement exprimé par les Français, a en retour reproché à M. Fillon, ex-premier ministre de Nicolas Sarkozy (2007-2012), d'avoir lui-même conduit à «l'affaiblissement du renseignement territorial» du fait des suppressions de postes.

Sécurité renforcée

Dans ce climat tendu, le président François Hollande a assuré que tout serait fait pour sécuriser le vote: 50 000 policiers et gendarmes et 7000 militaires seront mobilisés dimanche.

«Rien ne doit entraver» ce «rendez-vous démocratique», a souligné le premier ministre Bernard Cazeneuve.

C'est la première fois qu'une présidentielle se déroule sous le régime de l'état d'urgence, instauré dans la foulée des attentats du 13 novembre 2015.

Signe de l'intérêt que suscite l'élection française à l'étranger, le président américain Donald Trump a mis son grain de sel dans les débats, se disant persuadé que l'attentat aurait un impact important et «aiderait probablement» la candidate d'extrême droite qui lui voue une admiration non dissimulée.

La perspective d'une victoire de Marine Le Pen ou du tribun de la gauche radicale Jean-Luc Mélenchon - deux fervents critiques de l'Union européenne qui envisagent de la quitter si son fonctionnement n'est pas modifié - inquiète nombre de responsables politiques en Europe et au-delà.

Après l'attentat de jeudi, de nombreux policiers ont dit leur colère en apprenant que l'assassin de leur collègue était un multirécidiviste qui avait plusieurs fois menacé de s'en prendre aux forces de l'ordre.

Environ 200 épouses de policiers, «en colère», ont manifesté samedi autour du Champ-de-Mars à Paris.

Condamné à quatre reprises, notamment pour la tentative de meurtre d'un policier, le tueur, Karim Cheurfi, a passé presque 14 ans en prison. Il avait été placé en garde à vue en février après avoir affirmé à un proche vouloir «tuer des policiers en représailles de ce qui se passait en Syrie». Mais avait été relâché, faute de preuves.

La fusillade a eu lieu quelques jours après l'arrestation à Marseille, dans le sud de la France, de deux hommes suspectés d'avoir projeté de commettre un attentat.

Présidentielle en France : mode d'emploi

Près de 47 millions d'électeurs sont appelés à voter au premier tour le 23 avril, puis au second tour le 7 mai, pour élire le nouveau président de la République française appelé à succéder au socialiste François Hollande :

Comment le président est élu ?

Le chef de l'État est élu au suffrage universel direct, au scrutin uninominal majoritaire à deux tours, pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois.

Il doit recueillir la majorité absolue des suffrages exprimés en un ou deux tours, quel que soit le taux de participation.

Le vote blanc, qui permet d'exprimer un refus de choix, n'est pas reconnu en France. Depuis une loi de 2014, ces bulletins sont décomptés séparément des votes nuls et annexés en tant que tels au procès-verbal de chaque bureau de vote, mais ils ne sont pas pris en compte dans le calcul des suffrages exprimés.

Les précédents présidents sont :

2012-2017 : François Hollande (socialiste)

2007-2012 : Nicolas Sarkozy (droite)

1995-2007 : Jacques Chirac (droite), qui a enchaîné un septennat et un quinquennat. 

1981-1995 : le socialiste François Mitterrand, qui a effectué deux mandats de sept ans.

Qui sont les candidats ? 

Les électeurs devront choisir entre 11 candidats, un de plus qu'en 2012, mais cinq de moins qu'en 2002, année record en termes de candidatures.

Les quatre favoris se tiennent dans un mouchoir de poche : Marine Le Pen, 48 ans (Front National, extrême droite), François Fillon, 63 ans (Les Républicains, droite) Emmanuel Macron, 39 ans (En marche !, centre) Jean-Luc Mélenchon 65 ans (La France insoumise, gauche radicale) ont distancé dans les sondages le socialiste Benoît Hamon, 49 ans.

Les autres candidats sont : les souverainistes Nicolas Dupont-Aignan, 56 ans, Jacques Cheminade, 75 ans et François Asselineau, 59 ans, les trotskistes Nathalie Arthaud, 47 ans et Philippe Poutou, 50 ans, le député et ancien berger Jean Lassalle, 61 ans.

Comment se déroule le vote ? 

46,97 millions d'électeurs sont inscrits sur les listes électorales, dont 1,3 million établis hors de France.

Les 66 546 bureaux de vote de France ouvriront à 8 h (4 h, HE) et fermeront à 19 h (13 h, HE), une heure plus tard que les précédentes présidentielles. Dans certaines grandes villes, les bureaux resteront ouverts jusqu'à 20 h (14 h, HE). Le vote se déroulera samedi dans les Antilles françaises, en Guyane (Amérique du Sud), à Saint-Pierre et Miquelon (archipel français d'Amérique du Nord) et en Polynésie française (Pacifique Sud).

Plus de 50 000 policiers et gendarmes, appuyés par 7000 militaires de l'opération Sentinelle (déployés en permanence sur le territoire national depuis les attentats djihadistes de janvier 2015 à Paris), sont mobilisés.

C'est la première fois qu'une présidentielle se déroule sous le régime de l'état d'urgence, instauré dans la foulée des attentats du 13 novembre 2015.

Et les résultats ?

La loi française interdit la publication de résultats, hormis ceux concernant la participation, avant la clôture du vote, dimanche à 20 h (14 h, HE) pour éviter d'influencer les électeurs. La fermeture plus tardive des bureaux de vote complique la tâche des instituts de sondage, qui auront une heure de moins pour préparer leurs estimations à partir des dépouillements partiels.

Si les scores des candidats en tête sont serrés, l'image très attendue des deux finalistes qualifiés pour le second tour, qui apparaissait traditionnellement sur les écrans de télévision à 20 h pile (14 h, HE), n'est plus garantie. Les premières estimations seront actualisées régulièrement dans la soirée au fil de la collecte des résultats.

Le second tour opposera le 7 mai les deux candidats arrivés en tête au premier tour.

Aucun candidat n'a été élu au premier tour depuis l'instauration, en 1962, du suffrage universel direct.

L'investiture du nouveau président devra avoir lieu au plus tard le 14 mai, date d'expiration du mandat de François Hollande.