Tournant le dos au candidat de son propre camp, l'ex-premier ministre socialiste français Manuel Valls votera pour le centriste Emmanuel Macron à l'élection présidentielle, pour barrer la route à l'extrême droite.

«Je prends mes responsabilités (...) parce que je pense qu'il ne faut prendre aucun risque pour la République», a affirmé le finaliste malheureux de la primaire socialiste, alors que les sondages prédisent un face-à-face entre Emmanuel Macron et la candidate de l'extrême droite Marine Le Pen au second tour de la présidentielle, le 7 mai.

M. Valls, premier ministre social-libéral du président François Hollande de 2014 à 2016, a pris sa décision «face à la crise de la gauche et la marginalisation de notre candidat Benoît Hamon», vainqueur de la primaire socialiste désormais en cinquième position dans les sondages, et «face à l'effondrement moral de la candidature de François Fillon», le conservateur empêtré dans une affaire d'emplois présumés fictifs.

Ce soutien s'ajoute au récent ralliement d'un autre ténor socialiste, le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian. A 39 ans, Emmanuel Macron, l'ex-ministre de l'Economie de François Hollande, positionné au centre, attire les foules dans ses meetings et accumule des soutiens à gauche comme à droite de l'échiquier politique.

Soucieux de ne pas apparaître comme l'héritier d'un quinquennat socialiste impopulaire, M. Macron a prudemment «remercié» M. Valls de son soutien, tout en assurant qu'il serait «le garant du renouvellement des visages, du renouvellement des pratiques».

Les principaux adversaires du candidat auto-proclamé «ni de gauche ni de droite» ont sauté sur l'occasion pour dénoncer la proximité de M. Macron avec les socialistes - un thème récurrent depuis plusieurs semaines.

«Toute l'équipe de François Hollande est autour d'Emmanuel Macron (...) Emmanuel Macron, c'est François Hollande», a réagi le candidat de la droite François Fillon.

«La réalité de la candidature Macron apparaît au grand jour: c'est une vaste entreprise de recyclage des sortants du système», a renchéri la chef de file du parti anti-immigration et anti-euro Front national, Marine Le Pen, actuellement donnée battue au second tour du scrutin face à M. Macron.

«Trahison»

Pour Benoît Hamon, le soutien de M. Valls à Emmanuel Macron est un coup dur, un «jeu morbide», alors qu'il plafonne dans les derniers sondages aux alentours de 10 à 11%, derrière le chef de file de la gauche radicale Jean-Luc Mélenchon.

Le tenant de l'aile gauche du PS a appelé au rassemblement et souhaité que M. Mélenchon joigne ses forces aux siennes.

Mais le candidat de «la France insoumise», mieux placé que M. Hamon dans les sondages depuis plusieurs jours, a sèchement refusé cette proposition.

«J'ai marché mon chemin, sans ne céder à rien, je ne vais pas commencer aujourd'hui! A faire le contraire ou à m'engager dans je ne sais quel arrangement qu'on me suggère de faire», a-t-il lancé devant plus de 5000 personnes, selon son équipe, réunies au Havre.

Plusieurs figures du PS ont fustigé la prise de position de Manuel Valls, qualifiée tour à tour de «tentative de sabotage», de «trahison» et de «comportement minable».

«Le parti socialiste est dans un état de déréliction incroyable. Il n'a plus de cap, plus de structure», divisé entre deux courants ««irréconciliables» comme le disait Manuels Valls il y a quelques mois. La gauche n'existe plus», analyse l'éminent politologue Pascal Perrineau.

La crise de la gauche brouille encore plus une campagne empoisonnée par les affaires.

L'épouse du candidat conservateur Penelope Fillon a été inculpée à son tour mardi soir, notamment pour «complicité et recel de détournement de fonds publics». Elle est soupçonnée d'avoir bénéficié avec deux de ses enfants d'emplois fictifs à l'Assemblée nationale de 1986 à 2013, financés par des centaines de milliers d'euros d'argent public. M. Fillon a lui-même été inculpé mi-mars, notamment pour détournement de fonds publics.

Parti favori dans la campagne, M. Fillon a chuté à la troisième place des intentions de vote depuis que le scandale a éclaté.

Marine Le Pen est elle aussi visée par des enquêtes pour des soupçons d'emplois fictifs - mais au Parlement européen - et d'éventuelles fraudes sur le financement de campagnes électorales de son parti. «Du vent», a-t-elle commenté mardi en accusant les «méthodes de voyou» de la presse et en soulignant que «les Français sont lassés des affaires».