Les dirigeants des 28 veulent s'atteler au défi migratoire de la Méditerranée centrale, en clarifiant vendredi à La Valette la coopération qu'ils recherchent avec les pays d'Afrique, notamment avec une Libye en proie au chaos.

Les Européens ont érigé en priorité de couper cette «route», redevenue le principal itinéraire clandestin vers l'UE. Quitte à envisager des projets polémiques, comme le renvoi à l'avenir vers des «lieux sûrs» en Afrique des migrants secourus en mer.

Route principale

Les centaines de milliers de demandeurs d'asile qui ont afflué à partir de la fin 2015 par la mer Égée, fuyant pour la plupart la guerre en Syrie, ont focalisé l'attention des Européens pendant des mois, avant qu'un accord avec la Turquie en mars 2016 ne fasse chuter sensiblement la pression.

En Méditerranée centrale, les chiffres sont toujours restés moins impressionnants que ceux des pics d'arrivées massives en Grèce. Mais ils ont tout de même atteint en 2016 un niveau record avec plus de 180 000 arrivées sur les côtes italiennes, tandis quelque 4500 personnes ont perdu la vie en cherchant à les atteindre.

Ces migrants, dont 90% ont transité par la Libye, viennent surtout d'Afrique subsaharienne (21% de Nigérians, 11% d'Érythréens, 7% de Guinéens, 7% d'Ivoiriens, 7% de Gambiens, selon la Commission).

La plupart ne sont pas des réfugiés potentiels aux yeux de l'UE, mais des migrants économiques à renvoyer. Les experts soulignent qu'il s'agit d'un phénomène durable.

«Sophia», la réponse navale

Pour soutenir l'Italie, l'UE a lancé en 2014 l'opération «Triton», de soutien technique et humain sur le terrain. Elle a aussi déployé en 2015 une opération militaire, baptisée «Sophia», pour s'attaquer en mer aux passeurs.

Sophia a permis de saisir jusqu'ici quelque 380 embarcations de trafiquants et a contribué à l'arrestation d'une centaine de passeurs présumés. Elle a aussi secouru plus de 32 000 personnes. Mais si l'UE se félicite de ces vies sauvées, certains soulignent que l'opération a pu faciliter le travail des passeurs.

Ils «larguent les gens sur des radeaux à la limite des eaux territoriales libyennes, puis les laissent dériver vers les eaux internationales» partant du principe qu'ils seront secourus et transportés vers l'Italie, observe un diplomate européen.

Pleins feux sur la Libye

Face à l'impossibilité d'entrer dans les eaux libyennes, les Européens misent sur un soutien aux gardes-côtes du pays, afin qu'ils s'attaquent eux-mêmes aux passeurs et puissent ramener en Libye les migrants secourus en mer.

Sophia forme ainsi depuis octobre 2016 des gardes-côtes libyens. Et les dirigeants des 28 examineront vendredi la proposition de la Commission de débloquer de nouveaux fonds pour ces projets, et pour aider la Libye à gérer l'afflux de migrants sur son territoire, via des aides aux organisations de l'ONU sur place.

L'idée de s'inspirer, avec la Libye, de l'accord avec les Turcs semble cependant écartée. «Tout simplement parce qu'il n'y a pas d'interlocuteur comparable», souligne un diplomate européen, plaidant pour en priorité «stabiliser la Libye et s'assurer que les migrants y sont traités dignement».

Des pays africains réticents

L'UE veut aussi travailler avec l'Égypte, la Tunisie et l'Algérie, et surtout poursuivre dans l'immédiat sa démarche de «partenariats» avec les pays situés au sud de la Libye.

Elle a initié en 2016 un dialogue avec cinq pays-clés (Sénégal, Mali, Nigeria, Niger et d'Éthiopie), leur proposant de l'aide au développement pour s'attaquer aux «racines» des migrations, et leur demandant de «réadmettre» en contrepartie davantage de leurs ressortissants expulsés d'Europe.

Mais ces pays hésitent à prendre de tels engagements, impopulaires, et à renoncer aux sommes considérables envoyées par les migrants depuis l'UE, alors que celle-ci ne semble pas prête à ouvrir des canaux de migration légale.

Renvoyer les migrants?

Pour dissuader les traversées, certains n'hésitent plus à évoquer des idées controversées et déjà dénoncées par les ONG. Comme celle de ne plus conduire vers l'Italie les migrants secourus en mer, mais dans «des lieux sûrs hors de l'UE», où se ferait le «tri» entre réfugiés à accueillir et migrants économiques à renvoyer.

Le ministre allemand de l'Intérieur Thomas de Maizière a notamment récemment évoqué cette piste. «L'idée est sur la table, mais il faut explorer ce que le droit international permet de faire», note une source diplomatique. «Mais où seraient ces camps? Qui les garderait? Où enverra-t-on en Europe les réfugiés identifiés?», s'interroge-t-elle, dubitative.