En France, la nouvelle loi du paquet de cigarettes « neutre » marque la disparition de deux logos emblématiques de la culture populaire.

Oubliez le casque gaulois ailé et la danseuse de flamenco en volutes de fumée. Ces symboles de la culture populaire française ne seront bientôt qu'un beau souvenir pittoresque associé à l'âge d'or du tabagisme.

Huit mois après son adoption, la loi du paquet de cigarettes neutre est finalement mise en application en France. Petit à petit, jusqu'au 1er janvier, les logos mythiques de Gauloises, de Gitanes, mais aussi de Camel, Lucky Strike ou Marlboro, seront remplacés par une bande vert olive sombre, le nom de la marque n'étant plus écrit qu'en minuscules lettres blanches.

On s'en doute : cette mesure radicale est loin de faire la joie des producteurs de cigarettes et des buralistes (vendeurs de tabac) français. Les premiers ont protesté au nom du « droit de la propriété intellectuelle », tandis que les seconds s'arrachent les cheveux, incapables de s'y retrouver dans ces nouveaux arrivages de paquets interchangeables.

« C'est dur ! On n'a plus de repères quand on classe, lance la propriétaire d'un bureau de tabac du quartier Marais, qui préfère ne pas donner son nom. Ce qui me prenait trois quarts d'heure me prend maintenant cinq heures ! »

« Tout ce noir, c'est d'une tristesse ! ajoute une autre buraliste, rencontrée place de la Bastille, en nous demandant de l'appeler Lina. En plus, c'est con. Parce que ça ne va rien changer du tout », ajoute-t-elle, en nous montrant son inventaire d'un air découragé.

On saura bien vite si cette nouvelle loi, introduite par le ministère français de la Santé, dissuadera les amateurs de « clopes ». Selon une étude Eurobaromètre de 2012, seuls 3 % des fumeurs citaient le logo ou l'image de marque comme un incitatif à fumer, alors que 80 % parlaient plutôt de l'influence de leur entourage.

En Australie, premier pays du monde à imposer la loi du paquet neutre en janvier 2012, les résultats semblent toutefois plus positifs. Les ventes de cigarettes auraient augmenté de 0,03 %, mais une étude parue à la fin de 2012 indiquait que 30 % d'Australiens souhaitaient désormais arrêter de fumer, affirmant que leur marque de cigarette était moins bonne qu'auparavant.

Des symboles qui disparaissent

Au-delà des chiffres, un fait demeure : cette mesure marque en France la disparition d'un certain patrimoine populaire. Véritables images d'Épinal, les logos de Gauloises et de Gitanes ont nourri l'imaginaire de plusieurs générations de fumeurs et contribué à forger des mythes, de Serge Gainsbourg à Jean Gabin en passant par Jean-Paul Sartre ou les poilus de la Grande Guerre.

Étrangement, pourtant, peu de gens semblent s'émouvoir de la chose. Peut-être parce que beaucoup s'étaient depuis longtemps résignés, souligne Éric Godeau, auteur du livre Le tabac en France de 1940 à nos jours.

« L'idée de faire reculer l'image du tabac dans l'espace public n'est pas nouvelle. On a d'abord limité les pubs de cigarettes en 1976, puis on les a interdites en 1993. À cette époque, certains s'étaient offusqués. Là, ce n'est que l'aboutissement de cette politique. »

Éric Godeau se dit en outre sceptique quant à l'efficacité d'une telle loi, puisque les Français fumaient comme des cheminées bien avant l'apparition des premières marques officielles (Gauloises et Gitanes) vers 1910.

« Pour moi, c'est plutôt le XXe siècle qui se referme », résume-t-il, en évoquant d'autres symboles disparus, comme le béret ou la deux-chevaux.

Chez les fumeurs, peu d'émotions, à en juger par les clients rencontrés chez différents buralistes parisiens.

« Mon mari fume un paquet et demi de Gitanes depuis 50 ans, pensez-vous qu'il va arrêter ? », dit Madeleine au comptoir, après avoir demandé un billet de loterie.

Même son de cloche chez Rachid, qui contemple avec perplexité son nouveau paquet de Marlboro. « C'est moche, dit-il. Maintenant, au lieu de le mettre sur la table, je vais le garder dans ma poche... Mais ça ne va pas m'empêcher de fumer ! »

En Europe, seules la France et la Grande-Bretagne ont commencé à introduire le paquet neutre. D'autres pays de l'UE pourraient suivre. Au Canada, un projet de loi en ce sens a par ailleurs été déposé la semaine dernière à Ottawa. Des consultations seraient prévues pour « préparer le terrain ».