Les quatre partis de l'opposition de gauche et du centre en Islande ont annoncé jeudi avoir trouvé un accord pour tenter de former un gouvernement, deux jours avant des législatives anticipées qu'ils pourraient remporter.

Cette alliance est une rupture avec la pratique traditionnelle en Islande, où les partis avaient l'habitude de se présenter seuls sans dire explicitement avec qui ils comptaient gouverner.

Le Parti pirate (contestataire), le Mouvement Gauche-Verts, les sociaux-démocrates et Avenir radieux (centriste) ont rendu public leur front commun à l'issue d'une ultime séance de négociations préélectorales.

« Nous pensons que la coopération entre ces partis offrirait une alternance claire contre les partis de gouvernement actuels, et pourrait créer une opportunité nouvelle pour la société islandaise », ont écrit les dirigeants de ces partis dans un communiqué.

« Sur cette base, nous pensons qu'il y a de fortes raisons d'explorer la possibilité de former un gouvernement majoritaire si nous obtenons un mandat pour le faire lors des élections à venir », ont-ils ajouté.

La coalition sortante est constituée du Parti du progrès (centre droit), qui devrait être sanctionné d'après les sondages, et du Parti de l'indépendance (droite), au coude à coude avec les Pirates pour la première place à ce scrutin.

L'alliance entre les partis d'opposition laisse une place considérable à des négociations postélectorales. Elle ne permet pas par exemple de dire à ce stade qui serait désigné premier ministre en cas de victoire.

« Nous pensons que ces partis peuvent très bien coopérer, ils ont beaucoup de points communs. Je pense que ce sera un choix gouvernemental tout à fait viable », avait affirmé à l'AFP la présidente des Gauche-Verts, Katrin Jakobsdottir, avant l'annonce de jeudi.

Les Pirates en route vers le pouvoir

Par Camille BAS-WOHLERT

Ovni politique issu du mouvement libertaire, le Parti pirate islandais entend saborder le « système » aux législatives anticipées de samedi qui devraient sanctionner les formations traditionnelles éclaboussées par les Panama Papers.

Si, contrairement à de nombreux pays d'Europe continentale, l'Islande n'enregistre pas de poussée radicale à droite, elle semble prête à donner congé aux formations historiques et confier les clés à une constellation inédite de partis plutôt marqués à gauche.

Depuis le parcours sensationnel des « Vikings » à l'Euro de soccer, seulement battus en quart de finale par la France hôte (5-2), beaucoup se disent ici que tout est possible...

« Je veux des changements. Je n'aime pas tout ce que proposent les Pirates, mais si nous voulons des changements, c'est le meilleur parti », explique Einar Hannesson, 42 ans, ouvrier de chantier rencontré dans la capitale.

Les « Piratar », donnés tantôt devant tantôt au coude à coude avec le Parti de l'indépendance (conservateurs) au pouvoir, ne rafleront pas suffisamment de voix pour gouverner seuls. Mais ils pourraient se retrouver en position de former une coalition.

Ils ont d'ores et déjà exclu d'y inviter les partis au pouvoir, s'entendant avec les formations de l'opposition, dont le populaire Mouvement Gauche-Verts, crédité d'un cinquième des intentions de vote.

Selon les projections, avec de 20 % à près de 23 % des voix - ils ont été crédités de jusqu'à 43 % à six mois du scrutin - les Pirates peuvent espérer passer de trois à une quinzaine d'élus à l'Althingi, le Parlement monocaméral de l'Islande où siègent 63 députés.

Déjà très affaiblies par la crise financière de 2008, les deux composantes de l'exécutif sortant - Parti du progrès (centre) et Parti de l'indépendance - se retrouvent sous une pluie de cendres encore fumantes après l'éruption des Panama Papers.

Parmi les 600 Islandais détenteurs de comptes offshore ont été révélés les noms du premier ministre Sigmundur David Gunnlaugsson (Parti du progrès) et de deux ministres.

Le chef du gouvernement avait démissionné, mais le cabinet s'était maintenu, à peine remanié, promettant des élections à l'automne six mois avant l'échéance régulière.

La secousse des Panama Papers avait aussi touché le président de la République Olafur Ragnar Grimsson qui avait dû renoncer à briguer un sixième mandat, car son épouse était apparue sur les listes panaméennes.

Gudni Johannesson, un universitaire au casier politique vierge, lui a succédé.

Séisme

Si l'Islande, île volcanique de l'Atlantique Nord de 336 000 habitants, a renoué avec la prospérité (4,2 % de croissance en 2015) grâce au tourisme et au redressement de son système financier, les Islandais, et surtout les plus jeunes, n'ont plus que méfiance envers leurs élites.

« Je vais voter pour les Pirates. Je leur ai donné ma voix aux dernières élections (...) et je pense que c'est la première fois que je vote pour un parti qui ne trahit pas ses promesses », s'enthousiasme Salma Thorarinsdottir, 23 ans.

« L'Islande s'est remise du séisme (de 2008), mais les répliques ont bouleversé l'échiquier politique », analyse Eirikur Bergmann, professeur de sciences politiques à l'université islandaise de Bifröst. Les électeurs « ont à coeur de punir » les partis qu'ils tiennent pour responsables des maux du pays, dit-il.

La députée « pirate » Birgitta Jonsdottir, cofondatrice et porte-parole du parti, rappelle à l'envi que « cinq ministres ont été mis en cause pour corruption depuis que l'actuel gouvernement est entré en fonctions » en 2013.

La plus grande incertitude règne pourtant sur la forme du futur gouvernement, les conservateurs - soutenus par les seniors, les financiers et les baronies de la pêche - espérant casser la dynamique des Pirates pour se maintenir au pouvoir.

« Il faudra alors être ouvert à d'autres solutions, avec la gauche et la droite », prévient Gretar Eytorsson, professeur de sciences politiques à l'Université d'Akureyri.

En sus de frictions internes, le talon d'Achille des Pirates réside paradoxalement dans leur principale force, « leur électorat de base, les plus jeunes, qui sont aussi les moins enclins à aller voter », observe Eirikur Bergmann.

Créé en 2012 sur le modèle de son aîné suédois, le Parti pirate a fait son entrée au Parlement l'année suivante. Sa particularité, c'est la démocratie directe, les réformes institutionnelles, la transparence de la vie publique et les libertés individuelles qui les fait soutenir WikiLeaks et son cofondateur Julian Assange.

Par idéal démocratique, les Pirates promettent un référendum sur la reprise des négociations d'adhésion à l'Union européenne suspendues par la droite, adhésion à laquelle une large majorité d'Islandais est néanmoins opposée.