Jeremy Corbyn a été élu à la tête du Parti travailliste (Labour) il y a tout juste un an. Pourquoi une nouvelle course à la direction ?

Jeremy Corbyn est loin de faire l'unanimité dans son parti. Si la majorité des 600 000 membres du Labour l'appuie avec passion, ce n'est pas le cas des 230 députés qui forment l'opposition officielle à Westminster. Ces derniers blâment Corbyn pour sa campagne peu convaincante contre le Brexit et le critiquent pour son incapacité à organiser une opposition fonctionnelle. Beaucoup le trouvent trop à gauche et pensent que le parti n'a aucune chance de gagner aux prochaines élections générales si ce barbu intransigeant est au volant. (Dans un sondage paru à la fin d'août, seulement 19 % des Britanniques disaient croire qu'il était la bonne personne pour diriger le pays !). À la fin de juin, quatre jours seulement après le référendum sur le Brexit, 80 % des députés du Labour votaient une motion de défiance contre leur chef, alors que la moitié du « cabinet fantôme » (gouvernement virtuel d'opposition) démissionnait. Malgré la pression, Corbyn a refusé de quitter son poste, par respect pour la base du parti qui a voté pour lui il y a un an. Il tente donc de se remplacer lui-même ! Le gagnant devrait être connu en fin de semaine, lors du congrès travailliste à Liverpool.

Qui sont les autres aspirants ?

Le seul autre candidat est le Gallois Owen Smith, qui a été choisi par l'appareil du parti. Smith, 46 ans, est encore peu connu. Mais cet ancien lobbyiste, député depuis six ans, est vu comme le meilleur opposant à Corbyn, en raison de sa relative « virginité ». « Contrairement à d'autres, il n'a jamais servi sous Tony Blair et ne porte pas le stigmate du vote pour la guerre en Irak. C'est un immense atout », explique Seven Fielding, professeur de science politique à l'Université de Nottingham.

Sur le plan social, les idées de Smith s'apparentent à celles de Corbyn, dont la fin des mesures d'austérité et la création de logements abordables. Mais les deux hommes sont opposés sur la question de la sécurité, dont l'enjeu principal est le renouvellement controversé du programme nucléaire Trident, estimé à quelque 205 milliards de livres sterling, soit environ 350 milliards CAN. Smith est en accord avec le programme, Corbyn est contre.

Au-delà de ces différences, s'affrontent aussi deux visions de la politique, souligne Andreas Bieler, également professeur à Nottingham : « Smith est un produit de l'establishment, alors que Corbyn croit beaucoup à l'organisation par la base [grassroots], souligne l'expert. La vision de Corbyn va plus loin que la politique partisane. Il tente de créer, dans le même esprit que Podemos en Europe ou de Bernie Sanders aux États-Unis, un mouvement social qui veut redéfinir la façon de faire de la politique. »

Que disent les sondages ?

Jeremy Corbyn est en avance avec 60 % des intentions de vote, contre 40 % pour Owen Smith. Bien qu'il soit contesté à l'interne, Corbyn jouit d'un grand appui sur le terrain, ayant pour lui les syndicats et la plupart du membership, qui se chiffre à quelque 600 000 personnes. Ce résultat serait l'exacte redite du vote de l'an dernier.

Quelles conséquences pour le Labour si Corbyn est réélu ?

Un scénario, actuellement discuté, est que le Labour, incapable de fonctionner, se scinde en deux : d'un côté les pro-Corbyn, à gauche, et de l'autre, les plus centristes, dans la lignée de Tony Blair. Cette option est toutefois peu probable, croit Andreas Bieler. « Considérant notre système de scrutin [uninominal majoritaire], cette scission nuirait autant au Labour qu'à un futur nouveau parti. Tout le monde serait perdant. »

L'autre scénario, plus vraisemblable, est que le parti tente de sauver la face en jouant la carte de la réconciliation. Les députés dissidents se rallieront à Corbyn et cesseront de le critiquer publiquement, moyennant des compromis de part et d'autre. « Ils ne changeront pas d'opinion à son sujet, mais pour l'unité du parti, ils vont faire comme si cette élection n'avait jamais eu lieu », résume Steven Fielding. Cette apparence de front commun ne serait toutefois « qu'un pansement sur une plaie saignante », admet-il.

Photo Jack Taylor, archives Agence France-Presse

Owen Smith, candidat à la direction du Parti travailliste