Pour demander aux gouvernements occidentaux de sévir contre le mouvement Gülen, l'organisation qu'il accuse d'avoir fomenté le coup raté du 15 juillet dernier, le gouvernement turc prend les grands moyens. Il s'est notamment offert les services de l'avocat canadien Robert Amsterdam.

L'expert de droit international et de relations publiques de haut vol a notamment été l'avocat de Mikhaïl Khodorkovski, l'oligarque russe et opposant à Vladimir Poutine qui a passé dix ans derrière les barreaux en Russie.

Au cours de sa carrière s'étendant sur trois décennies, Robert Amsterdam a maintes fois défendu des opposants politiques qui avaient maille à partir avec des gouvernements à tendances autoritaires.

Pas cette fois.

En entrevue avec La Presse, Robert Amsterdam dit avoir été embauché par le ministère des Affaires étrangères de la Turquie il y a un an pour enquêter sur le prédicateur Fethullah Gülen, établi en Pennsylvanie, et sur les activités de son réseau aux États-Unis et en Afrique.

Le mouvement Gülen est notamment lié à un large réseau d'écoles privées en Turquie et dans divers pays du monde, dont le Canada. Il est aussi associé à une série d'instituts voués au dialogue interreligieux.

LA FILIÈRE AMÉRICAINE

« Notre enquête nous a menés à déposer des plaintes formelles en Californie et au Texas », dit Robert Amsterdam, qui allègue notamment que le mouvement Gülen a utilisé des fonds publics à mauvais escient. L'accusation a eu des échos dans certains médias américains, dont le New York Times, qui a enquêté sur le lien entre des écoles liées au mouvement Gülen, parfois financées par l'État, et des contrats attribués à des entreprises turques. Pour le moment, personne n'a été arrêté dans cette affaire.

CERVEAU DU COUP ?

Ces jours-ci, cependant, les accusations à l'égard du mouvement Gülen sont d'une tout autre ampleur. Alors que la tentative de renversement du gouvernement était encore en cours le mois dernier, le président turc Recep Tayyip Erdogan accusait Fethullah Gülen d'être le cerveau de toute l'affaire.

Dans les jours qui ont suivi le putsch avorté, plus de 40 000 personnes soupçonnées de liens avec le mouvement Gülen - hommes d'affaires, journalistes, fonctionnaires, juges et militaires - ont été détenues. De ce nombre, 20 000, en attente d'accusations formelles, sont toujours derrière les barreaux.

Dès le 16 juillet, Ankara demandait aux États-Unis d'arrêter ou d'extrader vers la Turquie le leader religieux qui vit en exil depuis 1999. Le secrétaire d'État américain, John Kerry, a rétorqué qu'il voulait d'abord voir des preuves. De son côté, Fethullah Gülen nie toute implication dans l'affaire et estime être le bouc émissaire du président turc. Le leader musulman a même suggéré qu'Erdogan avait lui-même mis en scène le putsch, qui a fait au moins 240 morts.

PREUVES À VENIR

Robert Amsterdam convient que pour le moment, la plupart des preuves dont la Turquie dispose contre Fethullah Gülen sont circonstancielles. « Quand on fait face à un complot criminel, il faut un certain temps pour consolider la preuve. De plus, dans ce cas-ci, nous avons affaire à une organisation clandestine », dit l'avocat, qui s'est envolé lundi pour la Turquie afin de rencontrer ses clients - dont le président Erdogan lui-même.

CAMPAGNE DIPLOMATIQUE

Lors de son passage au Canada la semaine dernière, M. Amsterdam a apporté son soutien aux diplomates turcs qui tentent de faire valoir le point de vue d'Ankara auprès du gouvernement de Justin Trudeau. 

« Nous parlons aux autorités de l'organisation terroriste de Fethullah Gülen qui est présente aussi au Canada. Nous faisions déjà part aux autorités canadiennes de nos craintes au sujet du mouvement Gülen avant le 15 juillet », explique Selçuk Ünal, ambassadeur de Turquie à Ottawa, en entrevue à La Presse.

L'ambassadeur de Turquie refuse de préciser quels gestes le gouvernement turc aimerait qu'Ottawa pose. « Ça fait partie des pourparlers confidentiels que nous avons avec le gouvernement canadien », a dit le diplomate.

De son côté, le ministre des Affaires étrangères du Canada dit soutenir les efforts d'enquête de la Turquie, mais sans s'avancer sur le rôle du mouvement Gülen. « Le Canada appuie une Turquie démocratique et respecte le besoin d'enquêtes approfondies et de poursuites contre les auteurs de la récente tentative de coup d'État. Cela doit être mené conformément à la législation turque et au droit international », a dit à La Presse la porte-parole de Stéphane Dion, Chantal Gagnon.

DÉFENDRE LES PURGES

Tant l'ambassadeur que M. Amsterdam se portent à la défense des purges et de l'état d'urgence décrétés par le gouvernement turc au lendemain du coup d'État raté et rejettent du revers de la main les allégations de torture rendues publiques par Amnistie internationale à la fin de juillet. « La torture ! C'est une des seules défenses que Fethullah Gülen a à sa disposition », ironise l'avocat canadien, qui est loin de penser qu'il est du mauvais côté de l'histoire.

Selon lui, Erdogan ne mérite pas l'image de leader autoritaire véhiculée par les médias occidentaux. « Il a accueilli trois millions de réfugiés syriens. Il a fait de grandes choses pour l'économie turque depuis qu'il est au pouvoir. Le journal Hurriyet le critique quotidiennement, lance M. Amsterdam. La vraie menace aux droits de la personne en Turquie, c'est Gülen. »