La publication des noms et des photos des auteurs d'attentats participe-t-elle à leur glorification? Le débat en France, lancé par des politiques et des intellectuels, a rebondi mercredi avec la décision de plusieurs médias de ne plus les publier.

Le journal Le Monde ne publiera plus de photographies des auteurs de tueries «pour éviter d'éventuels effets de glorification posthume», a ainsi annoncé son directeur, Jérôme Fenoglio, dans un éditorial.

Idem sur la chaîne d'informations en continu BFMTV, dont le directeur de la rédaction, Hervé Béroud, a déclaré à l'AFP que «la photo peut mettre au même niveau victimes et terroristes».

La radio Europe 1 a elle aussi décidé de ne plus citer le nom des auteurs d'attentats, et le journal catholique La Croix ne publiera plus leur photo et leur nom de famille. La radio RFI et la chaîne de télévision France 24 ont décidé de ne plus diffuser de photos et d'être «extrêmement parcimonieux dans l'utilisation des noms».

«Beaucoup d'actes sont commis par des individus fragiles psychologiquement, et la gloire médiatique est une incitation. Il y a une dimension préventive à limiter leur exposition médiatique», estime le psychanalyste Fethi Benslama, qui soutient cette anonymisation.

75 000 signatures

«La guerre contre le terrorisme est médiatique et psychologique. L'un des ressorts les plus importants chez ceux qui commettent des attentats c'est d'être connu et reconnu publiquement. Ils laissent des indices avant leur mort et fantasment une reconnaissance mondiale», explique-t-il à l'AFP.

Une position partagée par Michael Jetter, chercheur à l'université de Western Australia, spécialisé dans les liens entre terrorisme et médias. Il estime que le niveau de couverture médiatique a un impact sur de tels actes. Établissant un parallèle avec le traitement des suicides par les médias, le chercheur alerte sur un possible «effet d'imitation».

L'idée a également trouvé un écho dans l'opinion publique française : une pétition réclamant «l'anonymat des terroristes dans les médias» avait recueilli plus de 75 000 signatures mercredi, une semaine après son lancement.

Du côté des politiques, Geoffroy Didier, un élu local de la région parisienne, souhaite que «l'autorité judiciaire et les médias s'engagent à ne publier ni le nom ni aucune photo des terroristes».

«Ne pas renoncer à informer»

La secrétaire d'État française chargée de l'Aide aux victimes, Juliette Méadel, a récemment annoncé qu'elle allait faire des propositions pour que médias et Gafa (Google, Amazon, Facebook et Apple) «se mettent d'accord autour d'une éthique» et prennent des précautions «dans le signalement des victimes mais aussi dans la manière dont on traite les auteurs».

Le CSA, instance de contrôle des médias, planche de son côté sur un code de bonne conduite «pour la couverture audiovisuelle d'actes terroristes».

Dans ce débat, il faut «aussi prendre garde à ne pas renoncer à informer», estime toutefois Hervé Béroud. BFMTV continuera ainsi de diffuser le nom des auteurs d'attentat.

Pour le quotidien Libération, «publier les photos de terroristes et les glorifier, ce n'est pas la même chose. Dabiq (la revue du groupe État islamique) glorifie». «Imaginez un papier avec les frères SA et BA, AA, FAM», souligne son directeur adjoint, Johan Hufnagel, tout en reconnaissant un débat «permanent» sur le sujet au sein du journal.

À la chaîne de télévision TF1, la directrice générale adjointe à l'information, Catherine Nayl, plaide pour un traitement au «cas par cas» : «Entre le matraquage d'un nom et d'une photo et un élément d'information, il faut choisir une voie médiane», indique-t-elle à l'AFP.

L'Agence France-Presse estime pour sa part que son critère «doit rester la valeur informative d'un texte ou d'une image : en l'espèce, le nom et la photo d'un auteur d'attentat constituent bien une information dont nous ne voulons pas priver nos 5000 clients dans le monde, qui peuvent ensuite décider ou pas de les utiliser», explique la directrice de l'information, Michèle Léridon.

Sur la chaîne TV5 Monde, toutes les photos des auteurs des attentats sont floutées dans les journaux produits par la chaîne.