Quelques minutes après l'attentat de l'aéroport d'Istanbul qui a fait 42 morts et plus de 200 blessés, les autorités turques ont montré du doigt le groupe État islamique. Une conclusion trop hâtive, disent les experts. Qui d'autre aurait pu commettre un tel carnage ? Nous faisons le point en quatre questions et réponses.

LE GROUPE ARMÉ ÉTAT ISLAMIQUE A-T-IL REVENDIQUÉ L'ATTENTAT D'ISTANBUL DU 28 JUIN ?

Non. Hier, plus de 24 heures après l'attentat meurtrier, le groupe État islamique (EI), qui fêtait le deuxième anniversaire de la déclaration de l'établissement de son « califat », ne s'en était pas attribué la responsabilité.

Malgré ce silence, en conférence de presse hier, le premier ministre turc, Binali Yildirim, a affirmé que tous les « indices pointent Daech » (acronyme arabe de l'EI), un point de vue que partage la CIA. Selon le directeur des services secrets américains, John Brennan, l'attentat « porte la marque de la dépravation » du groupe djihadiste extrémiste.

Les experts remarquent notamment la similitude entre l'attentat de l'aéroport d'Istanbul, vraisemblablement perpétré par trois hommes armés de vestes d'explosifs et de fusils semi-automatiques, et les attentats de l'aéroport de Zaventem en Belgique du 22 mars dernier.

« Oui, ça ressemble au modèle d'affaires de l'EI. C'est un attentat spectaculaire qui frappe à la fois un endroit symbolique et l'économie turque », note Thomas Juneau, professeur à l'École supérieure d'affaires publiques et internationales de l'Université d'Ottawa, tout en estimant qu'il est trop tôt pour sauter aux conclusions.



Photo Murad Sezer, Reuters

Lors d’une conférence de presse hier au sujet de l’attentat à l’aéroport d’Istanbul, le premier ministre turc, Binali Yildirim, a affirmé que tous les « indices pointent Daech » (acronyme arabe de l’EI), un point de vue que partage la CIA.

SI LE GROUPE ARMÉ ÉTAT ISLAMIQUE A COMMIS L'ATTENTAT, POURQUOI NE LE REVENDIQUERAIT-IL PAS ?

En général, le groupe État islamique et sa machine de relations publiques ne se gênent pas pour réclamer la responsabilité des attentats - ce fut le cas à Paris et à Bruxelles -, et ce, même lorsqu'ils sont perpétrés par un loup solitaire, comme la tuerie récente dans un bar gai d'Orlando. 

Cette propension à faire la publicité des attentats commis en son nom ne semble pas s'appliquer à la Turquie. Le 20 juillet 2015, une recrue turque de l'EI a tué 33 personnes dans un attentat à Suruç. Pas de revendication. Quatre mois plus tard, une cellule turque du groupe islamiste a fait 102 morts et 500 blessés à Ankara. Pas de revendication. Pourquoi ? Le directeur de la CIA a sa théorie là-dessus. 

« Les djihadistes mènent les attaques pour envoyer un signal à notre partenaire turc, mais ne veulent pas potentiellement s'aliéner certains des individus en Turquie dont ils pourraient obtenir le soutien », dit John Brennan. Notamment, des sondages démontrent que plus de 10 % de la population turque considère que l'EI n'est pas un groupe terroriste.

QUI SONT LES AUTRES SUSPECTS ?

« La Turquie affronte beaucoup de défis. Elle a une guerre civile dans le sud-est du pays. Le problème kurde est criant. Il y a beaucoup de tensions politiques internes. En plus de l'État islamique. Il y a pas mal de candidats pour cet attentat, dit Yves Brodeur, ancien ambassadeur du Canada en Turquie et auprès de l'OTAN. 

Spécialiste de la question kurde, Stefan Winter, professeur d'histoire à l'UQAM, croit que la piste des Faucons de la liberté du Kurdistan (TAK) ne doit pas être écartée. Si les groupes armés kurdes, dont le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), s'en prennent habituellement à des cibles policières et militaires, les Faucons ont récemment ciblé des civils lors d'un attentat sur une place publique à Ankara. 

« Quand ça allait bien entre l'État turc et les Kurdes de 2010 à 2015, ce groupe, qui existe depuis une dizaine d'années, n'a pas commis d'attentats. Ils ont repris du service depuis que le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a relancé le conflit avec les Kurdes. Personne n'en parle, mais il y a une démolition inouïe des villes et villages dans la partie kurde de la Turquie en ce moment », affirme l'expert, en notant qu'une radicalisation des groupes militants n'est pas à exclure.



À QUELLES RÉPERCUSSIONS DOIT-ON S'ATTENDRE AU LENDEMAIN DE LA TUERIE DE L'AÉROPORT D'ISTANBUL ?

Même si l'enquête ne fait que commencer, l'État turc semble tourner son regard vers l'EI. « Depuis un an, l'hostilité augmente entre l'EI et la Turquie et ça risque de continuer », estime Thomas Juneau, qui s'attend à un engagement accru de la Turquie au sein de la coalition qui s'oppose au groupe djihadiste en Irak et en Syrie. Selon Yves Brodeur, la Turquie pourrait profiter d'une rencontre de l'OTAN à Varsovie le 8 et le 9 juillet pour demander des renforts. 

D'ailleurs, ces jours-ci, la Turquie met les bouchées doubles pour rétablir certaines relations diplomatiques. Au cours de la dernière semaine, Recep Tayyip Erdogan a resserré ses liens avec Israël et a offert des excuses à la Russie après avoir abattu un de ses avions de chasse. 

« La Turquie s'attendait au retour des touristes après que Vladimir Poutine eut levé l'interdiction pour les Russes d'aller en Turquie, mais l'attentat va avoir un impact dévastateur », dit Ceren Belge, professeure de sciences politiques à l'Université Concordia. 

Elle s'inquiète aussi pour le sort des voix discordantes au sein du pays, qui font face à un président de plus en plus autoritaire. « Les attentats sont toujours un bon prétexte pour que le gouvernement réprime davantage son opposition », ajoute la spécialiste.

PHOTO J. Scott Applewhite, Archives ap

John Brennan, directeur de la CIA