À peine lancée, la course à la succession de David Cameron a viré au drame shakespearien jeudi au Royaume-Uni avec la décision de Boris Johnson, le leader du camp du Brexit, de ne pas briguer le poste de premier ministre.

Ce coup de théâtre, qui s'apparente à un refus d'obstacle, redistribue complètement les cartes au sein du parti conservateur et laisse entier le suspense sur la façon dont les négociations de sortie de l'Union européenne vont être menées.

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La ministre de l'Intérieur Theresa May, et le ministre de la Justice Michael Gove, dont la candidature surprise jeudi matin a été perçue comme une trahison par «BoJo», sont désormais les favoris pour s'installer au 10, Downing Street le 9 septembre.

«Je dois vous dire mes amis, vous qui attendez la «phrase-choc» de ce discours, que je ne peux pas être cette personne», a lancé l'imprévisible Boris Johnson à une assistance médusée.

La stupeur a été totale. Car même si l'ex-maire de Londres suscitait une grogne croissante depuis la victoire des pro-Brexit, personne ne s'attendait à ce qu'il abandonne une semaine plus tard.

Theresa May avance désormais en favorite, même si elle pâtit du fait qu'elle s'était ralliée à David Cameron pour défendre un maintien dans l'Union européenne. Mais cette eurosceptique notoire a montré tellement peu d'empressement pendant la campagne qu'elle a le profil pour ressouder le parti.

«Notre pays a besoin d'un dirigeant qui soit fort et reconnu pour traverser cette période d'incertitude économique et politique», a-t-elle déclaré. Si elle est élue, elle n'activera pas l'article 50, qui régit le divorce avec l'UE, «avant la fin de l'année», a-t-elle précisé.

«Méprisable et irresponsable»

Michael Gove jouit, lui, d'une excellente réputation auprès du parti. Reste à savoir comment sera perçue sa volte-face, alors que le député écossais Alex Salmond l'a comparé jeudi à Lord Macbeth, le général qui, dans la tragédie de Shakespeare, commet un régicide pour s'emparer du pouvoir.

Boris Johnson hors course, cinq candidats au total postulent pour mener les négociations de sortie de l'UE qui s'annoncent difficiles.

Les dirigeants européens, réunis mercredi à Bruxelles pour la première fois en plus de 40 ans sans le Royaume-Uni, ont édicté leurs lignes rouges pour le divorce, assurant qu'il n'y aurait «pas de marché unique à la carte», selon les termes du président du Conseil européen, Donald Tusk.

«L'effet traumatisant» du vote sera ressenti «pendant très longtemps», a estimé jeudi le président russe Vladimir Poutine, qui «suivra attentivement jusqu'où iront les négociations entre Londres et Bruxelles» et ses «conséquences».

Les députés conservateurs doivent désormais se mettre d'accord pendant l'été pour désigner deux finalistes, et les 150 000 membres du parti choisiront l'élu, qui sera intronisé le 9 septembre.

Le ministre du Travail Stephen Crabb, l'ancien secrétaire d'État à la Défense Liam Fox et la secrétaire d'État à l'Énergie Andrea Leadsom ont également déposé leurs candidatures.

L'abandon de Boris Johnson est le dernier épisode d'une saga qui l'a vu remporter le pari du Brexit et ouvre des interrogations sur son avenir politique.

L'ancien vice-premier ministre conservateur, Michael Heseltine, s'est dit «consterné». Boris Johnson «est comme un général qui fait avancer son armée au son des canons et qui abandonne au moment où il découvre le champ de bataille. Je n'avais jamais rien vu d'aussi méprisable et irresponsable. Il devra vivre avec cette honte», a-t-il déclaré.

Brutus et César

Réfugié dans un quasi-mutisme depuis le référendum, comme sonné par le choc, Johnson avait commencé à susciter l'inquiétude chez les Tories. Le coup fatal est venu de son plus proche allié pendant la campagne: Michael Gove, qui a pris tout le monde par surprise en annonçant sa propre candidature.

Le revirement du ministre de la Justice a aussitôt été interprété comme un coup de couteau dans le dos de Johnson. Lequel y a fait allusion en citant dans son discours les mots que Brutus prononça avant de poignarder Jules César.

Personne n'avait vu venir Michael Gove, qui avait déjà rompu avec un autre grand ami, David Cameron, en se prononçant en faveur d'un Brexit au printemps.

Il a enfoncé le couteau dans la plaie en disant être arrivé «à la conclusion que Boris ne pouvait pas assumer le leadership ou construire une équipe pour la tâche qui «les» attendait».

Theresa May a, elle aussi, mis en doute la compétence de Boris Johnson. «La dernière fois que Boris a noué un accord avec les Allemands, il est revenu avec trois canons à eau», a-t-elle lancé, moqueuse.

«Seul Shakespeare aurait réussi à retranscrire la magnitude de toutes ces trahisons. On est devant un nid de vipères déguisé en parti politique», a tranché Nick Turnbull, maître de conférence à l'Université de Manchester.

Sur le front économique, le gouverneur de la Banque d'Angleterre, Mark Carney, a annoncé qu'il envisageait un assouplissement monétaire à l'été pour faire face à des perspectives «détériorées».

La livre britannique est aussitôt tombée à un nouveau plus bas en plus de deux ans face à l'euro.

L'incertitude générée par le vote britannique constitue le «principal risque» qui pèse sur l'économie mondiale, a indiqué de son côté le Fonds monétaire international.